









Cet article porte sur le premier album du rappeur Nepal. J’ai suivi son parcours musical depuis son projet 444 nuits. Fasciné par son univers singulier, ses projets m’ont accompagné dans mon quotidien. Durant des années, son œuvre a contribué à ce que je suive ma vie, l’esprit apaisé. A l’annonce de sa mort le 20 Novembre 2019, j’ai ressenti une profonde tristesse. C’est la raison pour laquelle je lui dédie mon premier article.
Présentation de l’artiste et de son œuvre
Originaire de Paris 14, Nepal est l’un des co-fondateur du collectif de la 75ème session. Connu sous le pseudonyme Nepal en tant que rappeur, ses talents de Beatmaker sous le nom de KLM, de vidéaste et mixeur font de lui un artiste complet capable de mener à bien un projet en total autonomie. Cette rare polyvalence lui permet de retranscrire son univers singulier à travers son premier album Adios Bahamas. Il a peaufiné sa technique dans tous ses domaines artistiques à travers ses trois dernières mixtapes : 444 nuits, 445 nuits et Kakashi Sense8. Ces collaborations ne sont pas une nécessité, et les seules personnes invitées à participer à ses projets sont des rappeurs avec lesquels il entretient une amitié de longue date. On pourra citer : Doum’s, Nekfeu, Fixpen Sill, et les membres de la 75ème session (Sheldon, Di-meh, Sopico).
D’autre part, Nepal entretient un rapport à l’image très particulier. En effet, l’artiste est resté anonyme en ne dévoilant ni son identité ni son visage au cours de sa carrière artistique. Lors de ses concerts ou dans ses clips, il était masqué. Cette attitude suggère une envie de n’appartenir à aucune image extérieure. Tout d’abord, cette pratique montre un grand rejet de la société de consommation qui joue de l’image d’hommes médiatisés à des fins commerciales. De plus, pour accentuer cette démarche, aucune promotion n’était faite pour ses projets, qui tout au long de son parcours musical ont été diffusés gratuitement. L’auditeur devait être actif et aller chiner les projets sur Internet. Il n’y avait aucune chance que la musique de Népal lui tombe dessus en écoutant la radio ou par une pub sponsorisée sur internet, ni même une publicité dans la rue. Par cette attitude singulière, l’œuvre de Nepal n’est pas réduite à un bien consommable mais à un art qui enseigne.
Une citation met en valeur la démarche de Nepal :
« si t’es au stud’ (studio) comme à l’usine, Babylone a gagné »


La tour de Babel
Nepal n’avait pas l’intention de mettre une pierre à l’édifice, en d’autres termes, de faire avancer l’organisation de la société. Il ne produit pas un bien pour en tirer un maximum de profit et faire marcher l’économie. Sa démarche introspective tend à éclairer le mystère contenu en chaque homme. L’artiste entretenait une relation avec de puissantes images intérieures. De l’énergie s’exprimait par un biais symbolique sous forme d’image personnelle. Pour rendre concrète cette compréhension, analysons la pochette de son quatrième EP Kakashi Sense8.


Pochette de l’EP KakashiSense8
On observe un symbole peint grâce à de l’encre de chine. Ce type de peinture et le terme Kakashi, personnage d’un animé japonais ayant le rôle de maître, remémorent sans doute l’Asie et plus particulièrement le Japon. De plus, le symbole présent sur la pochette renvoie à l’image du concept de Soi, fondement de la spiritualité Hindouiste. Le Soi lie le centre et la totalité de la personnalité car pour en trouver le centre, il faut au préalable définir les contours de l’ensemble. L’explication de l’image du Soi avec des mots ne peut se faire que par le langage symbolique : il est important de garder à l’esprit que ce centre, qui semble souvent hors de portée, est mobile, il change en permanence en fonction des rapports établis entre le conscient et l’inconscient. Le centre de gravité est en perpétuelle mouvance, l’équilibre est difficilement accessible.
En comparaison à ses images intérieures très fécondes, son image extérieure ne devenait que superficialité. L’artiste moquait ce comportement dans ses textes, c’est pour cela qu’il s’est donné tant de mal à la réduire à néant.
Présentation de la pochette


Pochette de l’album Adios Bahamas
Présentation de la pochette
Népal nous dévoile à travers une photographie un jeu d’ombre et lumière. Sa posture relâchée semble décrire un certain apaisement chez l’artiste. Vêtu intégralement de blanc, le rappeur se retourne et fige son regard sombre sur nous. La fente pour ses yeux nous captive par sa noirceur et s’oppose à la couleur blanche omniprésente sur la pochette. Alors que la lumière se diffuse à l’extérieur, Népal nous aspire dans une sorte de trou noir par le biais de son regard. L’attention qu’il nous porte est une invitation à cerner le calme qui l’habite et à appréhender son univers complexe.
L’album Adios Bahamas est porté sur les réflexions de Nepal à la fin de sa vie. Sa pensée s’appuie sur de nombreux horizons et influences, en autres, la culture japonaise et indienne. Son message humain et riche de sens, se diffuse au fil de sa production musicale. En tant que Beatmaker, il ne s’offusquait pas des fausses notes, il les trouvait profondément humaines. Il préférait se focaliser sur les textures sonores plutôt que sur les notes musicales à la recherche d’une ambiance musicale singulière, une atmosphère où l’émotion habite le morceau et accompagne le suivant. C’est pourquoi nous analyserons les morceaux les uns après les autres car son album suit une forte cohérence chronologique dans sa musicalité et dans la réflexion de l’artiste.
1.Opening :
Dès l’entrée de l’album, des sensations auditives nous remémorent d’étranges bruits que nous entendons dans des conditions particulières : Lorsque notre tête est immergé dans l’eau. Le son émis par une baleine indique que nous sommes plongés dans les abysses de l’océan. Par la suite, nous assistons à une montée depuis les profondeurs jusqu’à la surface où Nepal reprend son souffle. Après une longue et inaudible expiration, une forte inspiration remplit ses poumons. En plongeant à l’intérieur de l’Homme, l’air ouvre de nouvelles voies de circulation et débouche dans le grand ciel ouvert : le yin et le yang ; expiration et inspiration. Selon les principes de la méditation orientale, Nepal observe les points de contact entre ce qui est soi et ce qui n’est pas soi. Le premier titre de l’album Opening laisse libre court à l’interprétation des auditeurs. L’océan, vaste étendue d’eau profonde, représente l’allégorie de l’inconscience, un état extraordinairement flou antérieur à la conscience.
« Tout ce que je sais mais à quoi je ne pense momentanément ; tout ce que je sens, pense, me rappelle, veux et fais sans attention, c’est-à-dire inconsciemment ; tout ce qui est futur, qui se prépare en moi et ne viendra que plus tard à la conscience. » C.G Jung


illustration du concept de l’inconscient
La remontée à la surface suppose que le contenu est devenu distinct, il a été conscientisé. Nepal peut enfin se l’approprier. La grande inspiration de Nepal lorsqu’il reprend son souffle à la surface évoque une transmission en profondeur de l’information jusqu’à la conscience. En sachant que l’âme provient du latin anima qui veut dire souffle/respiration, on peut supposer que le contenu vient directement de l’âme, principe vital et spirituel, qui anime l’être vivant. Cette hypothèse est renforcée par les paroles en japonais à la fin du morceau. L’auditeur français, sauf exception, ne maîtrise pas cette langue. De ce fait, nous avons la sensation que cette voix japonaise nous explique quelque chose mais nous ne comprenons pas de quoi il s’agit, sauf le dernier mot « Adios Bahamas ». Cette voix symbolise le concept d’inconscient et le dernier mot, nom de l’album, caractérise la conscience. D’autre part, le japonais en tant qu’individu, est connu pour être enraciné dans ses traditions qui auront une grande influence sur sa vie.


Traduction des paroles de la voix japonaise
Ce texte est marqué par deux dimensions : la réflexion et la contemplation. Népal nous laisse supposer qu’une autre vie est possible, une vie d’explorateur en quête d’aventure. Les paroles japonaises dissimulent un éloge à la vie intérieure.
2. Ennemis, Pt. 2 feat Di-meh
Dans ce track, Nepal nous expose le concept de projection. L’étymologie de « projeter » veut dire : jeter en avant, au dehors, faire passer à l’extérieur ce qui tient à l’intérieur. La projection est un phénomène inconscient par lequel un contenu dont le sujet n’a pas conscience, est transféré sur un individu, de sorte qu’il parait appartenir à cet individu. L’illusion est ainsi entretenue jusqu’à que la projection ait pu devenir consciente.
« N’essaie pas de te battre avant de connaître ton ennemi »
Par cette phase omniprésente dans le morceau, Nepal nous met en garde contre nous-même. Il nous préconise un temps de réflexion personnelle avant de jeter la première pierre sur autrui : « Est-ce que je vois cette réalité comme une projection de mon esprit ? ». Parfois, on rejette à l’extérieur ce que l’on refuse en nous. On se libère d’un mal intérieur grâce à ce mécanisme de défense qui est la projection, mais la personne en face de nous devient notre ennemi.
« La projection fait partie du fonctionnement normal de la psyché et sa mise en place se révèle fondamentale pour le bon développement de la personnalité, car elle se pose comme le mouvement inverse de l’identification qui permet de se reconnaître dans une caractéristique venue de l’extérieur de soi. » C.G. Jung
3. En face feat Nekfeu
Tout au long du morceau, Nepal met en évidence le dilemme entre réalité et vérité.
« hmm, la vérité s’trouve en face de toi
mais c’est en face de toi, c’est juste en face de toi, ouvre les yeux
hmm, la vérité s’trouve en face de toi »
La Vérité n’est palpable qu’avec la perception du réel grâce à nos cinq sens. Lorsque la réalité atteint notre conscience, elle devient une représentation de la réalité, une vérité propre à chacun. Nous ne pouvons jamais comparer nos représentations de la réalité à la réalité elle-même, mais seulement à d’autres représentations de la réalité. De ce fait, l’ego n’a pas accès à la Vérité. Ainsi la contemplation qui passe par le détachement de l’ego, semble ouvrir le chemin vers la Vérité. Suivant ce raisonnement, notre représentation de la réalité déforme la Vérité. Ceci fait écho à une autre phase de Nepal : « Si tu refuses de voir certaines choses, tu ne les verras pas. »
La dernière phase du morceau est intéressante : « la première fois qu’j’ai vu la vérité en face, j’ai compris qu’j’étais qu’un lâche, qui vit en décalage. » Nekfeu nous expose grâce à une expérience vécue, le choc entre deux représentations de la réalité très différentes. Notre ‘’vérité personnelle’’ serait basée sur nos croyances propres donc la rencontre d’un individu qui ne partage pas la même conception de la Vérité entraîne un décalage. Nous pouvons être pris d’un sentiment de lâcheté en se rendant compte d’un éloignement du réel de notre part.
4. Trajectoire
Dans les trois premiers morceaux, Nepal nous donne les clefs afin de mieux nous connaître. Une meilleure connaissance de soi éclaire le chemin vers l’unicité, notre trajectoire. Celle-ci permet de donner et trouver du Sens. Répondant à notre destin, ce processus parcourt notre vie jusqu’à notre mort.
« Malgré l’illusion du choix, quand ton âme sera prête, tu verras qu’y a pas deux issues »
Dans le précèdent morceau Ennemis,Pt2, Nepal introduit les prémices de sa trajectoire fortement liée à la notion de liberté. En occident, la Liberté est caractérisée par la possibilité de choisir. Nous avons tendance à analyser et anticiper du mieux possible la situation et les événements du monde qui nous entourent afin de décider quel choix serait le plus judicieux. Celui-ci consiste à maximiser notre satisfaction en utilisant au mieux nos ressources, cette croyance est fortement influencée par notre système économique.
De ce fait, l’existence vécue par l’homme précèderait son essence, ce qui le constitue fondamentalement, avec comme conséquence de lui laisser la liberté et la responsabilité de ses choix. Suivant cette logique, nous pensons définir le sens de notre vie en étant maitre de nous-même. Nepal n’est pas en adéquation avec cette croyance, il pense que le choix est une illusion. Selon lui, choisir est une action superficielle. Chacun obéit à un tempérament contre lequel il ne peut pas lutter. La grande liberté, c’est de s’accueillir tel que l’on est. Apprendre à se connaître jusqu’à que ‘’l’âme soit prête‘’ permettrait de suivre notre trajectoire propre sans avoir besoin de comparer et choisir entre deux issues.
« J’calcule ma trajectoire car une vie peut s’résumer en quatre phrases, néglige pas l’taf »
Dans la première phase du morceau, Nepal songe à l’importance de laisser une trace. Il est conscient que s’il ne développe pas sa singularité par la musique, personne ne sera en mesure de comprendre son authenticité : Il plongera dans l’anonymat, sa vie pourra se résumer en quelques phrases. De ce fait, il entreprend un long travail par cet album pour se réaliser et entrer dans la mémoire collective.
Par cette image de trajectoire, Nepal trouve l’énergie d’avancer. En effet, ce chemin le connecte au plus profond de lui-même, à l’inconscient qui le guide au cours de sa vie. Il se sent humble devant cette supériorité qui le gouverne, apparentée à Dieu. Dans le morceau, Nepal emploie la phase : « humilité et force d’aller plus loin quand je me remets à Dieu ». Se ressourcer et suivre sa trajectoire l’apaise. Cela lui fait prendre du recul sur son ego qui cherche à être maître de la situation en le confrontant à ses responsabilités dans ses torts passés. Cette perception de lui l’affaiblit jusqu’à avoir des idées noires : « Le démon reste hors d’atteinte tant qu’mon mental est en rotation » la rotation caractérise le concept du Soi. Selon ce dernier, il faudrait se décentrer de notre conscience et graviter autour de notre ego pour définir entièrement notre personnalité et atteindre l’état de béatitude.
« Faut pas qu’on oublie la magie qu’y’a dans nos iris »
L’iris constitue la frontière entre la réalité perçue et notre moteur imaginatif. Népal refuse la vision rationnelle d’une réalité globale que le règne de la science instaure. Il n’adhère pas à cette réalité froide dépourvue d’imagination. Nepal est dans l’incapacité de s’adapter au système. Celui-ci l’amène à user de son ego et à cohabiter avec ses démons. « Et vu qu’dehors, c’est un traquenard [..] Cette ville est sinistre, partout l’ble-dia s’immisce ». Nepal préfère s’isoler chez lui et entretenir sa réalité singulière attendant que l’inspiration lui vienne. « j’ai dû contourner avec du vice et un track pad [..] Et moi, paro dans mes bails comme d’hab’».
5. Vibe
Les quatre prochains titres décrivent cette solitude dans laquelle Nepal s’épanouit à produire de la musique. En opposition à la vie extérieure, le rythme de vie de l’artiste est ralenti ; le temps s’allonge. Il ne se passe rien de spécial.
« Si j’ai capté une vibe, j’pourrais rester toute la journée au studio
Si j’ai capté une vibe, j’me mettrais pas sur autre chose
Lors du morceau Vibe, Nepal fait l’éloge de sa muse. Elle se présente comme un passage privilégié par lequel l’inspiration s’échappe des eaux troubles pour rejoindre la surface, la conscience de l’artiste. Le rappeur ne peut savoir à quel moment sa muse lui soufflera les mots justes à l’oreille donc il s’arme de patience dans l’attente que l’inspiration lui vienne et rythme son quotidien.
Lors de son couplet, le rappeur Sheldon évoque une relation avec une femme alors que Nepal personnifie son inspiration en femme. Les deux artistes sont sur la même longueur d’onde malgré deux sujets distincts. Au cours du morceau, sa muse s’apparente à une présence féminine dont Nepal partage tout. Dans la mythologie grecque, les muses sont les filles de Zeus et Mnémosyne. Elles servent d’intermédiaire entre les artistes et les dieux avec chacune une spécialité.
« Si on est ensemble, c’est pour échanger tout c’qu’on peut [..]
Vis en harmonie, en-ble-sem quand on s’ra ridé »
Nepal partage son monde intérieur avec sa muse. Il s’agit de la notion de l’alter égo, du double, de l’ombre. Cette image est bien plus qu’un symbole car elle s’intègre de façon concrète dans la musique de Nepal à l’aide de son inspiration. Tout ce qui est contenu dans l’ombre est encore inconscient jusqu’au moment où l’inspiration de Nepal la libère. L’obscur est en nous, mais il est évidemment plus pratique de le projeter et de le faire porter par l’autre. Ainsi c’est en acceptant l’existence en soi de cette part ténébreuse et inconnue que l’on peut tenter d’y voir plus clair. Cette cohabitation n’est pas des plus simples mais elle est incontournable si on veut opérer une réconciliation des parties contraires en nous.
« J’peux pas espérer mieux en masquant mes mauvais penchants
J’me suis coupé tout seul avec une phrase à double tranchant »
La rencontre avec soi-même signifie d’abord la rencontre avec sa propre ombre. Cette fameuse rencontre se déroule par l’intermédiaire de la production musicale pour Nepal. Ce dernier conçoit la musique comme une introspection : « D’la musique pour remplir l’âme, un objectif pour la vider ».
Dans ces clips, Nepal représente cette ombre sans visage qui symbolise son inspiration, la muse.








6. Lemonade
Ce morceau est bâti sur les fondations d’une citation américaine : « When life gives you lemons, make lemonade ».
« J’ai gardé mon carnet avec j’fais ma lemonade »
Nous sommes des êtres pensants. Il faudrait, de ce fait, être réfléchi et imaginatif. Nepal use du don présent dans chaque homme, la création artistique. Il écrit ses textes dans son carnet lorsque l’inspiration lui vient pour en faire le pilier de sa musique. Le son est très posé, il montre un état d’esprit tranquille de Nepal pendant la création d’un morceau. A l’image du manga Dragon Ball Z, le rappeur semble nous amener dans la salle du temps, dimension spatio-temporelle plus lente que la nôtre, où il confectionne ses textes et ses prods : « Chaque seconde devient une porte, j’évite la monotonie. » Ce morceau représente un temps d’égarement, un décrochage du réel, un moment apaisant dans l’imaginaire de Nepal.
7. Là-bas
Au cours du morceau Là-bas, Nepal aborde le revers d’une vie en société. Nous avons une soif d’idéal attirée par un ailleurs lointain. Nombreux sont les gens qui désirent partir sur une île déserte. Lors de son titre Skyclub issue de son premier projet musical 16par16 sortie en 2014, Nepal faisait part de ce même désir dissimulé au fond de sa tête : « Tu veux que j’bicrave (vende) mon ressenti, pas d’problème / Je m’en irai sur une île avec un sac d’oseille ». Depuis, le temps est passé, l’écriture lui a fait prend conscience de certaine chose et son état d’esprit s’en est trouvé bouleverser.
« C’est surement facile de parler, là-bas j’finirai par y aller […]
Ils ont fait des bateaux en papier »
Ce désir de compensation nous permet de continuer une vie que l’on n’aime pas, une vie que l’on subit. Les paroles se transforment seulement en mots, au mieux nous pouvons construire un bateau en papier s’approchant de la frontière entre désir d’idéal et réalité.
« On sait très bien comment faire ici, tire-les vers le bas, ils t’félicitent
Leur avis n’a pas la même valeur, leur vie n’a pas la même saveur »
La société se sert de ce désir d’idéal pour nous pousser à consommer. La publicité nous donne l’espoir de pouvoir combler notre désir à travers des voyages touristiques, des biens qui viennent d’ailleurs. Certaines entreprises font leur chiffre d’affaire en manipulant nos désirs vitaux : « tire les vers le bas, ils te félicitent ».
« Si tu considères ça comme des récits, ta conscience te mènera vers des récifs
Noyé dans rivières de malheurs, RDV on se rappelle t’à l’heure »
Si nous n’avons pas conscience de cette manœuvre, nous vivrons dans la projection d’un bonheur inatteignable. Le nerveux est celui qui ne trouve pas dans la réalité de quoi contenter son désir d’absolu car il désire coïncider avec un modèle idéal, inaccessible, car irréel.
« Et y a ces rêves qui m’empêchent de dormir [..]
Ils ont fait tout pour, on n’est jamais partis, toute ma ville dans un état léthargique »
Nepal a été confronté à un paradoxe sur le désir. Le rêve de Nepal de vivre sur une île des Bahamas l’empêchait de dormir alors que les rêves sont des phénomènes psychiques se déroulant pendant le sommeil. La prise de conscience de ce désir de compensation a sûrement été un électrochoc pour lui. Depuis ce jour, Nepal prend du recul sur cette aliénation de la société. Voilà d’où lui vient le titre de l’album Adios Bahamas.
« J’brasse dans une mare de pétrole, pas envie d’répondre à des ordres »
Par cette métaphore, Nepal nous exprime son ressenti sur son environnement. Il le décrit comme la nature du pétrole : sombre, froid et gluant. Il ne veut rendre de comptes à personne, il veut seulement s’isoler et rendre sa réalité chaque jour plus belle grâce à la musique. Il connaît l’insatisfaction mais conserve la joie de produire de la musique. Il prône le changement qu’il veut voir dans le monde en vivant au calme dans sa kamehouse (référence au manga Dragon Ball Z ).


Kamehouse, maison de tortue géniale dans DBZ
8. Sundance
« Tout ça, c’est les autres
On va laisser ça aux autres
Puisque l’enfer, c’est les autres
Pourquoi vouloir faire comme les autres ? »
Nepal cite la célèbre phrase de Sartre : « l’enfer c’est les autres ». L’artiste nous invite à s’extraire du jugement d’autrui. Il nous demande de cultiver notre monde intérieur. L’enfer, c’est de découvrir que nous sommes une conscience sans repli, ni intériorité, privée de ses secrets. L’enfer se présente davantage comme la transparence et la pleine lumière que l’isolement et l’obscurité.
« J’drop ça par étape comme dans le bouquin d’Hermann Hesse
Un jour une ligne et j’parle pas de S »
Déployant son imagination, Nepal écrit des lignes sur son carnet au lieu de sniffer des lignes par le nez : « Un jour une ligne et j’parle pas de S ». Dans la lignée du conte philosophique et spirituel Siddertha écrit par Hermann Hesse, l’album Adios Bahamas enseigne étape par étape, morceau par morceau. C’est indéniable que le rappeur Nepal détient une certaine vision commune avec le romancier qui écrivait : « Comment ne pas devenir un loup des steppes et un ermite sans manière dans un monde dont je ne partage aucune des aspirations, dont je ne comprends aucun des enthousiasmes ? [..] Ce que j’éprouve dans mes rares instants de bonheur, ce qui constitue pour moi un ravissement, une expérience extraordinaire, une extase et une élévation de l’âme est connu, recherché et apprécié tout au plus dans la littérature ; dans la vie, on traite cela de folie. Et de fait, si la majorité a raison, si ces divertissements de masse, ces être vivants américanisés aux désirs tellement vite assouvis représentent le bien, alors je suis un loup des steppes, un animal égaré dans un monde qui lui est étranger et incompréhensible. » Le loup des steppes 1927.
9.Millionaire
Dans les trois morceaux suivants, Nepal témoigne de ses difficultés et souffrances devant une existence qu’il médite. A la recherche d’un sens, il peine à se fondre dans les dynamiques du monde qui l’entoure : « Vous faites la course alors qu’il n’y a pas de ligne d’arrivée ».
« Le matin, j’me réveille comme un millionnaire
Le soir, je m’endors en fœtus comme un toxicomane »
On peut interpréter cette phrase d’au moins deux manières différentes. D’une part, Nepal nous invite à ne pas prêter trop d’importance aux jugements de valeur. Une personne très fortunée peut être fortement dépendante d’une drogue. Les gens auront tendance à envier son train de vie luxueux sans avoir conscience des vices que cela peut entraîner. Il faut se méfier des apparences. La deuxième interprétation, davantage introspective, concerne directement Nepal. Pourquoi Nepal emploie le “je” alors qu’il n’est pas concerné par une telle fortune. Je rappelle que ces projets étaient diffusés gratuitement. Il arrivait sûrement à vivre de sa musique sans pour autant remplir son compte en banque. Je pense qu’il était sujet à de fortes variations d’humeur au cours de sa vie. Il pouvait être atteint de folie des grandeurs et d’un orgueil excessif symbolisé par le millionnaire. De façon opposée, il vivait des phases de baisse d’humeurs accompagnées d’un repli sur soi caractérisé par le fœtus.
« Plutôt que d’être de ceux qu’ont le seum de vivre
J’vais rider jusqu’à finir inanimé »
Dans cette citation, Nepal nous fait part de ses envies d’excès qu’il vit en tant que “Millionnaire”. Dans son désir de supériorité, il dénigre les gens qui vivent leur vie avec moins d’intensité que la sienne. Ces personnes sont certainement une projection de ces phases dépressives.
« Ce monde tourn’ra rond seulement si j’le prend à contre sens »
Cette citation renforce l’existence d’un sentiment de supériorité de sa part dans son rôle de Millionnaire. D’un orgueil excessif, il pense que son existence équilibrera le monde.
« Ce monde n’a aucun sens, ma le-gueu, fais tes dièse
T’es même étonné que ça nous paraisse normal »
A l’image des deux états opposés qu’il côtoie dans sa vie, le monde n’a pas de sens. Pour Nepal, cela paraît une évidence et il n’en cherche pas la cause, il la vit.
10. Sans voir
« Chaque histoire a son hiver, chaque histoire a son mystère
Le temps passe et on s’y perd, le temps passe et on s’y fait »
Le pont entre le couplet de Nepal et 3010 est constitué d’une assonance en « s ». Cette figure de style souligne le calme du morceau. Nepal ne se soucie peu de son avenir, il sait que le temps passe et qu’il ne peut agir dessus. De ce fait il évite de se projeter dans un futur proche. Dans un même temps, Il se crée une histoire sur ses expériences passées. Il ne cherche pas à justifier ses torts, juste à cultiver son jardin intérieur avec le terreau de ses récits. Il souhaite vivre dans le calme et profiter de l’instant présent qui se tient entre le passé et l’avenir : « Tu vis l’instant présent, la suite c’est dans tes rêves ». Nepal désire trouver l’équilibre dans sa vie.
« Avancer sans voir, avec le cœur ouvert, avancer sans voir
Avancer sans voir, avec les yeux fermés, avancer sans voir »
Nepal fait référence à la fameuse citation de Saint Exupéry, issue du livre Le petit Prince : On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible avec les yeux. Devenu adulte, Nepal ne s’émerveille plus par la sensation visuelle dans ce monde qu’il voit comme désenchanté. Il préfère fermer les yeux et retrouver son âme d’enfant, si chère à Nepal et à Antoine de Saint Exupéry. L’artiste ressent une plénitude intense à vivre ses émotions symbolisées par le cœur, dans l’immédiat sans les refouler. « Les yeux fermés dans le noir, je sais ce qu’il me reste à faire ». C’est en étant totalement là, dans le moment présent, physiquement et mentalement que Nepal obtient un apaisement le menant à un nouvel équilibre. On ne trouve pas chez Nepal une foi en l’avenir mais un pari dans le présent.
11. Crossfader
« J’ai toujours mené ma life en Crossfader »


Crossfader
Le crossfader est le potentiomètre vertical sur la table de mixage qui permet de passer d’une piste à une autre. Lorsque le crossfader est situé en position haute, seul le son de la première platine sortira et lorsqu’il est situé en position basse, le son de la deuxième se fera entendre. Si l’appareil est positionné au milieu, le son sortira des deux platines. Nepal a passé un temps important à utiliser cet outil de mixage pour confectionner des prods. Il dit que ce potentiomètre vertical a été un élément central dans sa vie. Dans ce morceau, le crossfader serait-il une métaphore de sa variation d’humeur ? En suivant cette hypothèse, Les deux platines sur la table de mixage font référence à deux phases opposées dans la vie de Nepal.
«One up, one down, j’dois trouver une issue au labyrinthe sans m’retourner, j’avance »
Cette citation met en évidence ses troubles de l’humeur et expose la contradiction entre une phase haute et une phase basse : « One up, one down ». Tout autant qu’un individu qui se perd dans un labyrinthe, Nepal ressent une forte perte de repère vis-à-vis de cette discordance de phases. Il est conscient qu’il subit cette tendance sans avoir son mot à dire. Il évite de se retourner vers les situations passées qui le laissent peut-être perplexe. Il trace sa route, « j’avance ».
«J’tracerai ma route sans abuser des cartes, j’ai d’ja bien rodé les ruses et les failles »
Nepal préfère se laisser guider par son instinct pour trouver son propre chemin. On peut donc penser que les cartes auxquelles il fait référence, symbolisent les guides et préceptes qui s’imposent continuellement à nous. Ils peuvent provenir de notre éducation, de notre environnement social, des croyances religieuses dominantes, des institutions, etc … Nepal estime qu’il a lui-même suffisamment voulu utiliser les « ruses et les failles » qui sont des raccourcis. Ils peuvent symboliser la drogue, nos jugements trop simples et notre ouverture au monde trop limitée. [Commentaire rap Genius]
12.Daruma
Le dernier morceau représente une conclusion de l’album. Nepal réunit l’ensemble des thèmes abordés dans ce son porté sur l’unification.
« J’ai peint le ciel couleur lavande, mental dans un scaphandre »
L’artiste répète cette phrase trois fois au cours du morceau, renforçant sa prédominance. Le ciel décrit le monde d’en haut, où l’essentiel est invisible pour les yeux par opposition au monde d’en bas qui représente la réalité telle qu’on peut la percevoir sur Terre. Dans la bible, le ciel s’assimile à Dieu car on retrouve dans l’évangile de saint Matthieu l’expression royaume des cieux au lieu du royaume de Dieu. Tout au long de cet album, Nepal extériorise ses images intérieures qui représentent sa conception de Dieu, de l’âme et de l’inconscient. Trois termes désignant une même idée sous trois croyances différentes : Religion, Métaphysique et Psychanalyse. Il compare ses images à une peinture dont la couleur diffuse les propriétés apaisantes de la lavande. Également, la couleur lavande évoque le 7ème et dernier chakra de la religion hindoue. Ce chakra coronal se situe au sommet de la tête et décrit l’aboutissement du concept du Soi. Son nom Sahasrara signifie infini. L’élément de ce chakra est la pensée, sa fonction aboutit à la connaissance. Selon les écrits hindous, ce serait de l’intérieur que nous accédons au savoir.
7ème chakra Sahasrara
L’artiste veut élever sa conscience jusqu’à la plus haute cime, sur la terre du Népal, l’Everest. Il fait référence à une divinité hindou dans le morceau : « Hey Despi comme Hanuman ». Cette divinité est vénérée en Inde pour avoir soulevé des montagnes et avoir tué le roi des démons, Ravana. Pour atteindre les sommets de la connaissance « j’peins le ciel couleur lavande », Nepal devra endurer les profondeurs, « mental dans un scaphandre ». Les contraires s’attirent. Le scaphandre protège la tête. Il permet à l’utilisateur de respirer et d’évoluer sous l’eau. Dans un langage symbolique, il maintient le mental hors des tumultes extérieurs représentés par les perturbations de l’eau en plongée. Cette protection permet de résister à l’immersion dans l’océan, symbole de l’inconscient, et d’être seul sous cette étendu infini.
« Les aléas, j’les affronte, personne voit l’futur en avance »
Nepal ne se soucie pas de son futur et ne cherche pas à anticiper les événements. Il vit l’instant présent et porte son attention sur les obstacles qu’il rencontre sur sa trajectoire.
« 2018 dans ma bre-ch’, regard fixé sur un daruma »


Daruma
Nepal dit explicitement qu’il a passé son année 2018, accompagné par la solitude, dans sa chambre. Ce fut sûrement l’année de la réalisation de l’album Adios Bahamas. Le daruma est une figurine de papier mâché japonaise qui a la forme d’un moine bouddhiste. C’est une figurine à vœux, qui porte chance et prospérité. Le nom Daruma vient de la version japonaise du mot Dharme en sanskrit, qui représente les enseignements du Bouddha. Dans la vie de l’artiste, le regard fixé sur cette figure fut certainement la porte d’entrée à une méditation durant une année.
« La nuit en studio pour soigner les plaies, le matin, prière et rebelote »
Symbole de la peur intérieure et du démon, la nuit détient un pouvoir onirique, ce qui attrait au rêve. Pour le rappeur, la musique est une approche thérapeutique pour retrouver l’équilibre qui lui est si important dans sa vie. Le matin, Il profite de cet état d’apaisement pour méditer grâce à la prière, et la journée, Nepal suit sa trajectoire.
Conclusion
L’acquisition d’un niveau technique remarquable l’amène à épurer sa musique. Les textes s’approchent dorénavant d’une simplicité parfaite, allant à l’essentiel. Le cheminement intérieur de Nepal, retranscrit sur ses montagnes poétiques, se dévoile sous forme de mots sobres et intimes : Le bon chemin est celui dont les pas résonnent en toi. L’album rythme les morceaux, les ambiances s’harmonisent avec douceur et volupté. Le flow de Népal flotte sur une instrumentale qui puise son eau à la source. Tant sur la forme que le fond, L’album Adios Bahamas est un chef d’œuvre. Le genre musical, Rythm and Poesy, détient son virtuose. Népal nous livre un message positif. Adios Bahamas aspire l’ombre et fait jaillir la lumière. Son album représente un immense travail artistique et personnel afin de nous dévoiler l’entièreté de son être. La réalisation d’une vie. L’appel à un repos éternel.


Mandala, Vie de Népal
Texte de Carole Sédillot
A l’origine, le mandala se révèle comme un support puissant de la méditation orientale. Ses possibilités en font également un formidable outil d’introspection et de réflexion. Le mandala s’apparente à un temple sacré. Il contient et protège les trésors de la psyché humaine. Dieu est inscrit dans le mandala, il est mandala lui-même. L’être qui chemine dans ce sanctuaire avance peu à peu, pas à pas, étape par étape vers le Soi. Il chemine vers le centre dans sa totalité et révèle son unité.


Coucou Timothee je viens d aller voir ton site pour comprendre ce que tu fais … je vois à ce stade une qualité d expression incroyable! J irai écouter cet artiste et rapprocher cela de tes interprétations. Je ne le peux pas maintenant …. mais rien qu’avec ce que j ai vu je vois la teneur de ce que tu fais et suis déjà très impressionnée !