







Franck, alias Dooz Kawa, est un rappeur lunaire de la scène rap en France. Issu d’un père militaire et d’une mère allemande d’origine tchécoslovaque, il est amené à fréquemment déménager lors de sa jeunesse. Ce mode de vie lui a permis d’acquérir un esprit de voyageur au détriment d’un sens de l’attachement. Plongé dans les espaces infinis d’une rêverie qui jamais ne cesse, son enfance s’ancre dans différentes casernes militaires allemandes.
A l’âge de 12 ans, croyant perdre pied, l’enfant sent son corps vibrer. Descendant d’un étage en direction des caves de garnisons, l’explorateur entend un bouillonnement auditif encore inconnu dès lors. Son imagination s’emballe. Prenant peur d’un danger à prévoir, ce jeune aventurier, après s’être immobilisé un temps, prend son courage à deux mains et se laisse guider par son ouïe. Entouré d’immenses caisses de ravitaillement dont les couleurs lui rappellent le treillis de son père, il s’apprête vaillamment à découvrir la source du vacarme en prolongeant sa course vers le fond du long couloir. La chaleur de plus en plus intense à chaque pas le trouble mais son esprit aventurier lui fait maintenir le cap. Au bout du passage exigu, sa tête se fixe dans l’axe de son épaule droite et les contours d’une ouverture se dessine. Une étendue dense et chaude faite d’individus en tout genre lui cache la cause de ses tourments. Le petit rêveur est ensorcelé par des vagues musicales. Levant les yeux en direction de lumières artificiels, l’enfant reste captiver par une pancarte au nom de Rap Undergrount Konzert. A cet instant commencera la passion grandissante de Frank, bientôt connu sous le pseudonyme Dooz Kawa.
Dorénavant âgé de 17ans, Franck dépasse les frontières et s’installe à Strasbourg, dans la banlieue d’Haguenau puis à la cité d’Ampère. Inadaptable au système éducatif, il recevra quatre lettres de renvois de différents établissements scolaires. Se décrivant comme asocial, Franck suit le cours de sa vie en lisant des livres et en écoutant de la musique, et particulièrement ce qui se fait de mieux au sein du rap français des années 90. De fil en aiguille, il côtoiera la scène rap de Strasbourg et, par la suite, formera le collectif T-Kai-Cee avec ses acolytes Raid-N et D.A.X. Ils produiront ensemble quatre albums de rap en indépendant, performeront en concert et connaitront un certain succès régional.
A partir de 2006, Le rappeur rencontre des musiciens manouches de renom qui influenceront grandement son rapport à la musique. Ces guitaristes d’exceptions, Biréli Lagrène, Mandino Reinhardt (fils de Django Reinhardt), et Mito Loeffler, appartiennent à la communauté Tzigane. Ils vont ouvrir un eldorado musical sur le parcours artistique de Dooz Kawa. Ces diverses collaborations contribueront à enrichir la musicalité de son premier album solo, Etoile du Sol.
Présentation de la pochette


Pochette de l’album Etoile du sol
Présentation de la pochette
Cette pochette nous amène sur la route des musiques tziganes, vers la péninsule des Balkans et ses couleurs chaudes. Paysages sauvages et grandioses où les populations nomades sèment leurs pas en quête de grands espaces, celui sous les étoiles. Les Hommes du voyage, ceux qui vont les poings dans les poches crevées, suivent les sentiers de la vie. Savez-vous que Manouche veut dire Être Humain en bohémien ? La région des Balkans aux nuances orangées, est riche de l’histoire humaine car elle représente le berceau de l’Homme européen aux croisements des chemins entre Homo Sapiens et Neandertal. A l’image des européens qui portent les gènes de ses deux espèces humaines, l’ADN de cet album retranscrit deux genres musicale : Musique tzigane et Rap français. Dooz Kawa introduit son album avec le morceau Balalaïka (guitare traditionnelle au manche triangulaire) dans lequel une voix féminine chante en yiddish accompagnée du guitariste de jazz manouche Mandino Reinhardt.
Inadéquation, le réel se dissipe
« J’suis apparu un jour d’hiver
Le soleil disparut et mes ailes tombèrent à terre
Attends, paraît que ce monde est le mien
Baratin
Moi j’suis arrivé, j’avais rien »
L’ange est descendu du ciel un jour d’hiver en son for intérieur. Blanc comme neige, l’enfant solitaire et sans attache n’avait que faire des générations d’ancêtres et descendants à ses côtés pour l’épauler, mais l’émerveillement et son éclat se dissipera au crépuscule. Sous les couleurs lunaires, la dualité intérieure apparait et l’ombre s’empare des ailes de l’ange. Maintenant seul et éperdu dans l’obscurité de son existence, comme un animal mis au monde, il pousse un cri de rien et avance avec ses pieds à l’horizontal.
« P’t-êt’ que la planète tourne trop vite et que toi
Tu marches sur des nénuphars comme une danseuse étoile »
A l’instar de délicates notes de musique aux sonorités aigus et cristallines, « l’homme-animal » câline un sol froid et placide de ses pas sensibles cherchant l’équilibre sur une planète aux mouvements rapides. Serait-ce cette sensation, « le coté froid qui fait de la neige en nous » ?
[Etoile du Sol]
« C’est pour les héros dans la Lune tombés sur Terre
Les Pierrots pé-sa en Redskins blazer ou bien en survêt’ TachiniQui dorment ici la tête sur l’satellite de la Terre
À cause de Newton et l’imbécile d’apesanteur »


Le tableau nommé Pierrot
du peintre Antoine Pierrot, 1719
Pierrot est un personnage lunaire de la Comedia Dell’Arte, genre de théâtre populaire italien. Ce jeune valet rêveur suit une vie fantaisiste et semble maladroit face au réel. A l’écoute des intuitions d’une âme très sensible aux émotions, il va où le vent l’amène. Souvent dupé par la malice de ses contemporains, il aime se réfugier sur la lune.
De nos jours, les lumières artificielles dissimulent la lanterne de minuit, voisine des étoiles, mais le pierrot des temps modernes, épris d’imaginaire tout comme ses aïeuls, réussit à s’envoler vers la Lune grâce aux vertiges de l’ivresse. La réalité est diluée par l’alcool qui agit au sein de l’oreille interne, organe de l’audition mais également de l’équilibre. Sensibles à la gravité, nos canaux semi-circulaires nous permettant de détecter les mouvements de rotation, sont brouillés par la boisson alcoolisée. C’est à cause de ces conduits organiques et des travaux du scientifique Newton sur la gravitation et les corps en mouvements, que la tête de Dooz Kawa, perchée sur la Lune, tourne autour de la Terre le temps d’une nuit d’ivresse.
[Bouquet de proses]
« Dis-toi qu’ici on dérape même sur gros sel
[…]
Combien ont vu ce gosse se perdre ?
Quand les p’tits budgets sur grands rêves engendraient de grosses peines
Garder la foi, parfois enfin lécher une chatte »
A l’aube de l’an 2000, le rappeur entreprend une existence libre, mais parsemée de galères pour vivre de sa musique dans une cité où l’argent facile attire les jeunes. Face à l’amertume d’une réalité qu’il peine à prendre en compte, le rappeur d’un caractère téméraire, emploie un langage cru en guise d’espoir pour se consoler. Il semble que Dooz Kawa fasse référence à l’un des morceaux culte du groupe de rap suprême NTM : « Ne laisse pas trainer ton fils/ Si tu ne veux pas qu’il glisse, qu’il te ramène du vice ».
[Parker Charlie]
« Regardez les humains, vous ne trouvez point que je leur ressemble ?
Au moins un peu
Je tâcherai d’avoir des idéaux et de parler un petit peu mieux
Prendre à crédit une Peugeot et puis d’être content pour rien
Il faut soigner les apparences pour être un bon contemporain »
Dooz Kawa se situe au-dessus des foules, non pas sur scène devant le pupitre pour proclamer un discours politico-économique mais plutôt seul sur sa planète. De là-haut, il observe une vie sociale conforme aux idées sociétales imposées avec rythme et éloquence. Chacun marche aux pas, dans les lignes de conduite à suivre. En prenant du recul, le spectacle du projet collectif est visible et s’apparente à une figure géométrique. A défaut de s’y insérer, Dooz Kawa « rappe celles qui s’en battent les fesses du théorème de Thales » ; celles, invisibles de loin à cause de leur singularité, qui préservent leur indépendance et créativité loin des lignes établis par lesquelles la souffrance individuelle, certes faiblit, mais tout autant que l’intensité de la vie.
Toujours avec du rap français, j’ouvre les horizons en vous proposant de lire des passages du morceau Arrivé sur Terre inclus dans le second album de Oxmo Puccino, Cactus de Sibérie. Provenant d’un imaginaire distinct, les mots diffèrent naturellement mais une vision commune lie les deux rappeurs. Il semble indéniable que l’œuvre de Oxmo Puccino ait influencé l’écriture de Dooz Kawa.


Pochette de l’album Cactus de Sibérie
« j’ai longtemps pensé que nous vivions
Dans un asile à ciel ouvert, avec du recul j’ai découvert
Qu’on est tous de la même planète
Mais pas du même monde
Votre dimension n’est pas nette, la mienne est profonde
En plongée constante, vu qu’à la surface l’apparence trompe
[…]
Arrivé sur terre par erreur
J’ai caché les preuves, et détruit mon vaisseau
Sur terre à la dérive, d’où tous ces SOS
[…]
Je suis le sci-entifique surnommé l’artiste
Presque distant, quasi-autiste
Accusé d’écrire depuis la lune »
L’enfance, le temps passe
Tout au long du morceau poupée de son, le rappeur nous dévoile le lien étroit entre la création artistique et son enfance, puit dans lequel souvenir, imaginaire et inspiration s’entremêlent. Le champ lexical de l’enfance est omniprésent : marionnette, poupée, jouet, doudou, figurine, soldat de plomb, bac à sable, etc. Les souvenirs marqués par l’insouciance enfantine se fige dans les écrits de Dooz Kawa, et dès lors, met en relief l’inévitable écoulement du temps sous l’autorité de l’horloge.
« J’bouge la tête comme la peluche de Mr. Oizo 12 K.O (T-Kai !)
Peut-être une marionnette animée par cinq ou six câbles
Reliés à une boîte musicale
Juste une poupée qui parle d’façon sincère
Avec l’énorme clé qui s’insère dans ma colonne vertébrale
Remonte le papier à musique et quand dans ma vie tout va mal »
Mr. Oizo alias Quentin Dupieux est un réalisateur français de comédie absurde. Il détient les droits sur une peluche nommée Flat Eric, qui est apparue dans des publicités Levi’s. Cette poupée originale prend vie dans la pub et agit avec un comportement humain, elle boit du coca et écrase une mouche avec un magazine dans une voiture. A l’instar de M.Oizo et de sa peluche, Dooz Kawa entreprend de faire revivre une poupée, symbole de son enfance grâce à sa musique, «Reliés à une boite à musique/ Remonte le papier à musique ». Les câbles font références à ses phrases rimées qui décrivent l’action de la poupée. Cette dernière fait echo à une clef qui se situe dans les entrailles du rappeur, « l’énorme clé qui s’insère dans ma colonne vertébrale ». Cet objet qui sert à accéder aux profonds secrets relatifs à l’enfance, est également le tout premier élément de la portée sur une partition de musique. Dans le premier morceau de l’album, balalaïka, le rappeur nous témoigne de cette clef musicale qui donne accès au for intérieur où réside l’imaginaire pur de l’artiste. : « J’ai la clef d’sol qui ouvre la cage, moi ». Le pronom « moi » est perçu comme une insistance liée à la possession de la clef mais il peut également être interprété comme la localisation de la cage, qui se situerait au centre de la personnalité de l’artiste. Le moi profond associé à l’enfance de Franck, s’exprime librement, maintenant devenu adulte, par le biais de sa musique.
« Rempli de pensées d’apocalypse
Un nounours qui peu câline
Depuis qu’elle préfère le robot avec ses piles alcalines
L’ancien doudou qui perd ses fils est laissé à l’abandon
Regard en boutons, immobile »
Les peluches de son enfance sont devenues désuettes à cause des diverses innovations dans le secteur des jouets d’enfant. Dorénavant, ces derniers bougent grâce à l’énergie stockée dans les piles alcalines. L’évolution des peluches fait prendre conscience à Dooz Kawa que plus rien ne lui rappelle son enfance dans cette société hyper évolutive et consommatrice. Face à ce monde qui s’emballe, Dooz Kawa ralentit le rythme et rejoint l’enfant en lui à l’aide de sa plume.
Au sein de notre société contemporaine, les innovations disruptives si fréquentes nous bousculent et laissent un gouffre derrière nous. Notre quotidien évolue vite, et sans délais, nous devons embarquer au bord du nouveau train technologique. Les traces, en guise de mémoire, s’effacent car l’avancée est obligatoire si nous ne voulons pas être marginale et dépendant des autres, apeuré par l’angoisse de la lenteur de l’autre côté de la fracture technologique. Dans cette course effrénée, les scientifiques tracent le parcours et chacun suit sa ligne, sans regarder derrière lui. Ces mots, en guise de révélation, sont le message de l’ange tombé du ciel. « Et plus rien n’a d’importance, un démon s’endort sur la bible». Les pensées de Dooz Kawa posés sur la feuille, font allusion à l’Ancien Testament, et particulièrement au chapitre de l’Apocalypse. A défaut d’être croyant, c’est pour cela qu’il se qualifie comme « démon », ce mécréant est fasciné par l’écriture symbolique, forme ancienne de poésie, qu’il lit dans la Bible.
[Refrain]
« J’sui dans les backs, dans les bacs à jouets (poupée de son)
J’suis back dans les bacs, dans les bacs, dans les bacs, dans les bacs à jouets »
A l’origine, les disques vinyles 45tours étaient disposés dans des bacs chez le disquaire, de là est venu l’expression, être dans les bacs, signifiant sortir un disque. Lors de ce refrain plutôt ego trip, Dooz Kawa nous signale que son nom d’artiste est de retour sur les étagères de cd car son album étoile du sol est disponible à la vente, « J’suis back dans les bacs ». Ce refrain est un clin d’œil au morceau Back dans les bacs, encore une fois du groupe de rap français suprême NTM. De plus, Le rappeur fait une analogie entre le bac à cd et le bac à jouet, tous deux se mêlent dans ses souvenirs d’enfance et lui inspireront le morceau une poupée de son.
Amour, la muse s’amuse
[Cherche l’amour]
« Un dernier blues pour relater l’passionnel
Moi j’crois pas en l’amour tel un athée relationnel
Le chewing-gum de leurs bisous reste coller sur ma semelle
Elle aime les mecs du ghetto mais elle y resterait pas une semaine »
Tout au long du titre Cherche l’amour, Dooz Kawa rappe d’une voix écorchée son désamour envers les filles. Cet athée relationnel, déçu par les relations passionnelles, n’envisage plus que l’amour comme « une étape sexuelle ». Sur une prod composée de percussions et de notes de piano stridentes, le rappeur use de mots tranchants : « Oh Manu, rentre chez toi / Et puis va pas t’tailler les veines, hein / Une go de perdue, c’est pas la fin de la race humaine / [..] / Triste époque pour un cœur en peine / Alors rejoins les autres sur le pack de Heineken ».
[Parker Charlie]
« J’aimerais qu’ils entendent tous ta voix
pour comprendre mon ennui quand t’es pas làMa mélodie, mon éternel, mon cœur
Ma symphonie
Ma féminine
Parker Charlie »
Dooz Kawa semble avoir entendu une voix féminine aussi douce et attirante que les notes de musique du célèbre trompettiste Charlie Parker. Les résonnances du corps et les sonorités du souffle de cette voix si joliment décrite parait lui faire perdre la tête, du moins, sa rationalité.
[Narcokiz]
Sans elle, je suis qu’un a capella, un incapable
Jaloux et violent […]
En équilibre, moi en elle, quand elle vibre, elle m’emmèneAu point de chute de l’arc-en-ciel
En plus j’me fais du mal quand j’sais pas où elle traîne
J’suis malheureux tellement que j’l’aime»
Solitaire et sans attache, Dooz Kawa, dans toute sa singularité, déclare son Amour à sa flamme intérieure. Qu’importe les autres filles, il demande à sa muse, et à elle seule, de poursuivre sa vie avec lui. Ça tombe bien, elle est en lui (héhé) mais où exactement ? Tel est le mystère du point de chute de l’arc-en-ciel.
[Poupée de son]
« Et si la mélodie cesse c’est que de battre mon coeur s’est arrêté »
La musique est devenue un appel ou une contrainte (choisissez le mot qui vous parait adéquat) trop fort.e dans la vie de Dooz Kawa pour qu’il puisse s’en échapper. Assurément aspirer à devenir artiste, il est désormais porteur d’un fardeau, incapable de mener sa vie comme il l’entend car à l’évidence sa muse lui souffle des mots à l’oreille, et puis, semble s’être accaparée son cœur. La jolie surface d’un choix plastique dissimule les méandres d’un dilemme viscéral : Rébellion de son être vs Emballement de son pouls.
Synesthésies, le sens des mots
La synesthésie est un trouble de la perception des sensations à travers lequel le sujet associe deux sens ou plusieurs, à partir d’un seul stimulus (forme, couleur, son, toucher, odeur, etc). Dans le cas de Dooz Kawa, les sens s’entremêlent, non pas par confusion, mais par un liage sensoriel inhabituel. Cette particularité fertilise sa créativité : « C’que j’dessine en decibels / Subtil, trop fragile, une esquisse à l’aquarelle ». Comme dirait l’autre, la couleur n’est pas tout mais tout est couleur.
[Narcozik]
« MC, c’que j’dessine en décibels
C’est ma jolie mélodie, elle est si belle
Quelque part j’me sens coupable quand elle partCa m’rend dingue de tout-par, j’suis prêt à tout pour qu’elle me parle »
Attentif aux formes des lettres qu’il dessine sur le papier, Dooz Kawa associe des sons à des mots. En l’occurrence, les différentes combinaisons de lettres modifient la sonorité de ses mots. Sa perception audive et visuelle rejoignent une vision commune. En quelque sorte, sous l’effet d’un phénomène étrange, il écrit des sons. Ma foi, chose bien pratique pour un rappeur, ce genre musical est sans doute une niche à synesthète.
[Bouquet de prose]
« J’apporte des bouquets de proses, j’te l’avoueParce que les lilas sont morts, frère, demande à Aznavour »
[…]
J’ajoute juste que moi, j’dépasse les cons en sifflotantJe suis d’la mauvaise herbe locale
Poussant en liberté dans le jardin mal fréquenté hexagonal
Le gars qui tombe dans les bars avec un panier de proses »
Lors du morceau Bouquet de prose, les mots du rappeur stimulent nos sens : les odeurs, les sons, le toucher et la vue interagissent au sein d’un imaginaire qui vagabonde en toute liberté. Notre nez est piqué par des fleurs aux nombreuses teintes musicales. Des mots nous promènent dans un jardin botanique. Sous le kiosque au loin, de la musique s’échappent : Accompagné d’une guitare, un accordéon suit sa partition. Le vent souffle et l’air vibre. Se baladant, Dooz kawa sifflote sur le sentier parfumé.
Le vagabond des étoiles
Au cours du morceau demi-monde, Dooz Kawa vagabonde dans sa cité strasbourgeoise, l’un des nombreux quartiers en France où la couleur ghetto s’immisce comme la grisaille des nuages couvrent le ciel. Dorénavant, le haut et le bas se confondent et Dooz Kawa accompagné du chanteur et guitariste manouche Mito Loeffler nous souhaitent la « bienvenue dans le demi-monde où des millions d’anges déchus tombent ».
« Le loup est sorti des bois, la brebis boit des larmes d’alcool
Afin de pleurer sur un monde sans âme
Où on danse à pas de loup autour d’un feu de camp tzigane
Où les caravanes sont cachées par le système
Où fanent les roses noires que personne n’aime comme le bossu de Notre-Dame »
Le rappeur détourne la fable, les loups et les brebis, de la Fontaine. Ici, les policiers, journalistes, et politique français prennent l’apparence d’un loup devant une brebis, résidant d’un quartier laissé à l’abandon. Les loups veulent la paix, mais à quoi sert-elle pour la brebis, avec des ennemis sans foi ? Cette morale apparait comme un constat de la politique sociale française.
« Ici personne ne prétend posséder l’idée salvatrice
J’laisse l’illusion aux émeutiers, aux policiers, aux journalistes
Politiciens et autres actrices amatrices vivant sur un autre hémisphère
Petit frère, sois pas tristeOn n’aurait pas été heureux dans le mensonge de la matrice
Car dans les songes… leur âme est triste »
Dooz Kawa dépeint la fracture sociale française, deux mondes à la dérive, qui ne se comprennent plus. Pour l’un, la misère est extérieure, et pour l’autre, elle serait intérieure. Le rappeur fait référence au groupe de rap IAM et à leur mythique morceau petit frère, storytelling d’un adolescent rongé par la violence sociale, qu’elle soit en bas de l’immeuble ou dans un débat télé. « Petit frère rêve de bagnoles, de fringues, de tunes / De réputation de dur, pour tout ça, il volerait la lune ».
« Évasif, J’écris ces mots comme une ode aux évadés
Les mains dans l’dos avec un bandeau sur les yeux
Attaché au poteau face aux archers »


Je finis ma chronique de l’étoile du sol en la liant à un roman au combien percutant, une vérité universelle qui ne se contente de coller au réel, Le vagabond des étoiles de Jack London. Cette œuvre, engagée et réaliste, dénonce le système carcéral américain au début de XXème siècle. On suit les derniers jours de la vie de Darell Standing, condamné à la peine de mort malgré son innocence. Enfermés et surveillés, l’immense majorité des prisonniers sont décrits comme valeureux et durs à cuire : Lorsque l’on n’a plus rien, il nous reste l’honneur. Grâce à l’imagination de sa pensée, le protagoniste s’évade de la réalité morbide qui l’entoure. Immergé dans une souffrance totale, causée par les conditions d’emprisonnement et les tortures répétées par des geôliers inhumains, le condamné revit ses vies antérieures : Enfant des caravanes traversant le désert, explorateur naviguant les océans, Légionnaire en Palestine, Viking à la tête d’un drakkar, etc. Dans la lignée de ce testament littéraire et philosophique du romancier Jack London, l’album Etoile du Sol, « ode aux évadés », met en lumière la puissance imaginative de l’Homme et révèle un acte militant poignant.
Lorsque le moral chute dans les tréfonds, le sentiment de persécution nous enveloppe et l’imagination s’emballe. Dès lors, les mots du rappeur Koma résonne à travers son album Le réveil (1999) :
« Loin de l’idéal, loin des rêves que l’on fait la nuit
On voudrait s’évader mais c’est comme si nos pieds étaient pris
On vit dans l’espoir de sortir d’ici un jour
Et je t’assure que personne ne veut rater son tour »
Conclusion
L’album Etoile du Sol témoigne de la vie errante de Dooz Kawa, artiste d’une grande sensibilité, dont la forte personnalité est fragilisée de l’intérieur. En rotation autour de sa planète, le rappeur crache des rimes par terre avant de les intégrer dans une boucle musicale. Ni pas de côté, ni virage en angle droit, Dooz Kawa poursuit le mirage d’une longue ligne droite. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais les formes rectilignes se joue de lui. Tourmenté par des idées obsessionnelles qui tourne en boucle dans sa tête, il s’interroge : Ma trajectoire cacherait-elle un cercle aux mouvements perpétuels et infinis ? Inadaptable à une quelconque structure géométrique, ce poète manipule les structures grammaticales et s’amuse à les inverser si ce n’est les déconstruire. Au dos de circulaires administratives, Il écrit des textes inspirées de la vie en société afin de se libérer, par catharsis, d’une souffrance interne. Peut-être, enfin s’échapper de la sensation de vide qui le serre, ce sentiment de désespoir inexplicable. Sa voix écorchée toujours à bout de souffle, transmet une puissante charge émotionnelle, comme s’il se trouvait à l’aube de la mort. Son flow cherche constamment l’équilibre sur des tonalités tendues et vibrantes dans une perpétuelle variation. Dooz Kawa captive l’attention de ses auditeurs et les enveloppe dans une ambiance musicale. Il mène la danse autour d’un feu de camp Tzigane accompagné par des musiciens de prestige.


« Ici les loups qui dansent en ronde
Et les soldats du côté sombre
Les naufragés de l’autre monde
Sont venus chanter le demi-monde »
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