Il suffit de le faire, Ichon

 Thématiques abordées : Enfance, Mythologie individuelle et Art Brut

Posté le 20 Jan, 2021

Il suffit de le faire, Ichon

Thématiques abordées : Enfance, Mythologie individuelle et Art Brut

Posté le 20 Jan, 2021

Ichon déploient une énergie d’une rare intensité dans sa création musicale. On peut interpréter la naissance de cette force par une collision entre deux émotions instinctives qui lui font perdre le contrôle ou le libère, à chacun son ressenti.  Le rappeur assimile son œuvre singulière à un exutoire, son texte est vecteur d’énergie mais également porteur de douleurs et souffrances. Ichon recueille des signaux au fond de lui, afin de les expulser ; le flow et la prestance hors-norme de l’artiste percute l’auditeur. Il produit une musique introspective.
Le rappeur est fasciné par la couleur bleue et la note musicale qui en découle : « J’cours après le blue ». La ‘’blue note’’ est un concept apparu dans le jazz des années 50, époque d’émancipation pour ce genre musical en recherche de renouveau. Le nombre de musiciens dans les groupes se réduit et la musique est moins dansante, ça ne swing plus. La musique devient contemplative et profonde à travers des improvisations et de l’émotion instinctive. Le terme blue vient de l’abréviation « blue devils » (littéralement démons bleues ou idées noires). La note bleue est utilisée par les musiciens de blues et de jazz à des fins expressives, pour illustrer la nostalgie ou la tristesse. Dans son cas, Ichon veut s’épanouir mais les mœurs, coutumes et cultures vides de sens l’en empêche : Il a besoin de vivre ses envies profondes. Il fuit, le plus loin possible, un modèle de vie incolore. La vie est-elle une fête où personne ne danse ? Ichon brave le danger et rejoint ses abymes pour danser avec son ombre. Il ne veut plus perdre son énergie à dissiper l’angoisse de ses démons. Marqué par son enfance, son œuvre musicale Il suffit de le faire se construit tel un récit mythologique personnel et détient un aspect thérapeutique flagrant. Yann-Wilfred Bella Ola, alias Ichon, se révèle, et nous révèle les arcanes d’un artiste d’art brut.

Présentation de la pochette

pochette de l’album Il suffit de le faire de Ichon

Ichon se présente habillé d’un costume deux pièces ainsi qu’une cravate. Son style vestimentaire sobre et élégant est à l’image des standards de la bureaucratie. Portant une moustache raffinée, Ichon emploie un sourire narquois exprimant une certaine moquerie vis-à-vis des vêtements devenus marque de statut et de pouvoir. Le tissu reflète moins l’originalité de la personne que son appartenance sociale et les fonctions qu’il exerce dans la société.  Teintée de burlesque, la pochette souligne un profond décalage entre l’expression du visage extravagant de Ichon et le port du costume conventionnel. La photographie est malaisante. Par son décalage, l’image provoque une remise en question forcée sur le thème : vêtements et stéréotypes. Selon les normes incrustées dans notre tête, le port du costume demande sérieux et professionnalisme. Cette photographie se joue avec dérision de la publicité qui nous bombarde de modèles à suivre. Eh mercé les publicitaires de votre joli travail.  Etant une personne tout à fait atypique, Ichon entretient un rapport personnel aux vêtements. En effet, le textile joue un rôle clef dans sa vie et lui permet de s’affirmer d’une manière singulière. Il est connu pour concevoir ses propres habits se détachant des codes vestimentaires établis. Pour ce mannequin qui défile pour les maisons Margiela et Pigalle, l’habit est un moyen d’affirmer sa créativité et son identité.

L’enfance d’Ichon 

Ichon est né à Montreuil en banlieue parisienne. Ses parents sont propriétaires d’un restaurant spécialisé dans la cuisine africaine dans le quartier. La vie suit son cours et comme les garçons de son âge, Ichon entre en école primaire. Pour l’artiste, les problèmes commencent. Il ne lui faut pas davantage d’années pour que son parcours scolaire devienne chaotique.

« J’ai fait trop d’bétises, mon école m’a viré, toute façon, c’était trop facile
J’veux faire comme les grands, j’veux respirer le ciel
Passer à l’écran pour qu’les filles, elles m’aiment
J’suis un champion comme Mike Powell »

Dès le plus jeune âge, Ichon se sent en décalage avec les autres gens de son âge. Son comportement est stigmatisé par les enseignants qui le considèrent comme hors de contrôle. Son énergie débordante dépasse le cadre imposé par l’instituteur et cela le mène à une exclusion définitive de son école primaire public. De plus, les critiques qui lui sont adressées génèrent de la honte, de la culpabilité et provoque une dégradation de son estime de soi. Pour compenser la baisse de confiance en lui, il ne cessera de se considérer comme un champion pour avancer et continuer à courir encore plus vite.

« J’suis un champion, j’cours plus vite que tout l’monde [..]
J’adore crier, j’ai l’impression d’vivre, je l’fais quand j’vais en courant chez Mamie.
Courir, c’est ma vie, j’suis un champion »

Cette énergie se caractérise dans son enfance par un grand besoin de courir, il n’arrive pas à se canaliser.

Par la suite, Ichon est réinscrit dans une école primaire mais cette fois-ci, une école privée à Paris. Il traverse le périphérique parisien. Il navigue très jeune dans différentes classes sociales, en passant des banlieusards aux bourgeois parisiens. Très tôt, sa perception de la société s’affine. Ses fréquentations hétéroclites lui permettent de développer une intelligence sociale et d’être à l’aise dans des ambiances cosmopolites. Il conscientise les agissements propres à chaque milieu. Par la suite, cette intelligence particulière l’aidera à trouver sa place en affirmant sa singularité et non pas en suivant une croyance commune pouvant l’enfermer dans une case socio-culturelle. Cet enrichissement lui permettra de se battre pour désinstaller les préceptes à suivre afin de se plonger dans ses envies propres et de mener sa vie comme il l’entend.

« J’ai treize ans et j’flippe quand ma mère me gronde 
Quand c’est mon père, c’est pire 
J’voudrais pas vous décevoir mais j’ai cette maladie
C’est plus fort que moi-même quand j’essaie, j’ai pas envie. »

Les années se suivent et Ichon se fait virer de cinq internats vivant des engueulades à répétition avec ses parents. On lui reproche un comportement qui lui est propre. Il essaie de s’en défaire mais il en est incapable. Une énergie singulière l’attaque du fond de son être et lui fait perdre le contrôle sur ses agissements le faisant sortir du cadre. Sa scolarité très mouvementée lui fait l’effet d’un traumatisme. Il se croit ronger par une maladie dont un des symptômes est l’inadaptation au système scolaire. A force de décevoir ses parents, sa confiance en lui chute, le tuant à petit feu. Le sixième et dernier internat est le bon. Il reste deux ans à l’institut privé Bois Robert, près d’Angers.

« Il y avait le fils Sarkozy, celui qui faisait de la musique, le petit-fils Guerlain, plein d’enfants de ministres africains… énumère-t-il. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé là. À l’époque, je portais des joggings, ils étaient tous en Gucci. Je m’achetais de faux trucs pour faire comme eux. J’ai appris les codes de la bourgeoisie. On avait un uniforme, on dormait dans un château. En tant que mec de banlieue, là-bas, j’essayais de me fondre dans la masse. Quand je revenais à Montreuil, j’étais décalé. À l’internat, j’étais le mec bizarre, à Paris aussi. Avant, ça me faisait mal. Aujourd’hui, je suis un mec bizarre et tant mieux. »

« J’ai le pressentiment que je finirai au Paradis […]
Plus que trois années avant enfer ou paradis
Comme un champion, j’vais partir à vingt-sept piges
Réussir à m’assasiner avec cette tise, comme un champion »

Ichon est un artiste très marqué par ses souffrances éprouvées durant l’enfance. Etant dans l’impossibilité de rentrer dans un conformisme social, il a dû se confronter à lui-même dès son plus jeune âge. Ses idées noires sont apparues très précocement à cause de ses différences prononcées. Ichon a écrit le morceau Champion lors de ses 24 ans. Alors que les années se sont cumulées, il est toujours poursuivi par ses idées morbides. Personne n’échappe à son enfance. Maintenant qu’il est adulte, il est submergé par la peur d’appartenir au club des 27.

[Pont]
« J’entendais des cris d’gens, mais c’tait dans ma tête
Si je m’écoute penser, j’suis plus dans la fête
J’fais comme je l’sens, c’est pour ça qu’on m’apprecie
ça fait un bout d’temps maintenant »

Ce quatrain est tiré du pont entre ses couplets dans le morceau Maintenant. L’artiste nous expose ses difficultés à faire face à ses pensées qui le renvoie à son enfance. Il est confronté à un ailleurs qui captive son attention et lui fait perdre le sens de la fête.  Dorénavant adulte, les gens remarquent et apprécient la forte personnalité de Ichon : celui qui a appris à comprendre l’être humain en lui-même le comprend en chaque homme.

Après l’intérêt porté sur l’enfance de Ichon, nous verrons par la suite pourquoi Ichon est un artiste brut dans l’écriture de son l’album Il suffit de le faire puis nous irons découvrir son récit mythologique et l’aspect thérapeutique de son écriture.

Il suffit de le faire, une œuvre d’art brut

Pour introduire les choses de manière simple ; l’art brut regroupe des œuvres dont les auteurs ne se perçoivent pas comme des artistes et ne souhaitent pas non plus être considérés comme tels par les autres.

Revenons alors à l’origine de ce concept qui fut créé et défini par Jean Dubuffet en 1945 lorsque celui-ci fit une visite dans un hôpital psychiatrique. C’est lui qui donna une première substance théorique à l’art brut qui existait en fait depuis toujours : par art brut il entendait “des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous assistons à une opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe.”

Nous pouvons distinguer deux dimensions dans la définition de Jean Dubuffet. La première est sociologique, l’artiste brut est un marginal qui ne dispose pas de formation artistique : il est autodidacte. Il n’a pas la conscience d’être artiste et vit dans une altérité sociale et/ou mentale. Réfugié dans l’irrationnel, le rêve ou le cauchemar, l’artiste brut, du fond de sa chambre, de son hôpital, de sa prison ou de son grenier, donne naissance à un univers unique. C’est ici qu’apparaît la seconde dimension de la définition de Dubuffet : elle est artistique. L’artiste brut cherche à produire une œuvre esthétiquement forte, à inventer un langage nouveau ou des techniques déroutantes. Nous comprenons alors que c’est un art spontané, naturel qui demande un désapprentissage de tous les codes pour le pratiquer. 

De son côté, le galeriste Christian Berst évoque l’expression d’une ‘’mythologie individuelle’’ pour définir l’art brut. Ce dernier constitue donc une solution poétique à l’incompréhension du fait d’être au monde. C’est un art souvent exutoire, salvateur, profondément universel et intemporel qui apporte des réponses à nos questionnements intérieurs.

[Texte écrit par Sophie Bonnet tiré d’un de ses articles : https://leonziemeart.wordpress.com/2020/10/09/decouvrir-lart-brut-une-marginalite-creatrice/]

Ichon est dépourvu de culture artistique. Il est autodidacte et produit sa musique de manière indépendante. Il s’affranchit des codes musicaux à suivre, même ceux du rap. Ichon ne se contraint pas aux respects des mesures, il ne cherche pas à poser sa voix sur le tempo de la prod conçue par ses potes (Myth Sizer, Ikaz Boys et PH Trigano). Il rappe comme il le sent, laisse des syllabes s’allonger par le chant, et crée des backs (voix de fond) atypiques, entre cris et chuchotements, par-dessus son flow de parole.

Devant un tableau, Ichon s’imagine dans l’univers de l’œuvre plutôt que se limiter à observer le cadre. Plus on lui laisse de l’espace, plus Ichon est à l’aise. La liberté lui est viscérale. Ichon retranscrit sa singularité dans ce qu’il produit, une œuvre spontanée et percutante. Dans le morceau Je ne suis qu’un homme, Ichon nous éclaire sur son impasse à se sentir artiste.

« J’ai aucun conseil à te donner
C’que j’sais, je l’ai appris, je l’ai pas volé
Moi aussi, j’ai la flemme de charbonner
Boy, j’suis qu’un homme
J’ai aucun conseil à te donner
On fait avec c’que la vie nous a donné
J’pense pas que l’rap français va m’sauver
Boy, j’suis qu’un homme »

Ichon ne s’est pas senti à sa place dans le milieu musical, nulle part d’ailleurs.  Il a été victime du syndrome de l’imposteur. Jamais il n’a cru être capable de faire ce qu’il faisait. Il écrivait ses textes en vitesse, pousser par une énergie qu’il connait depuis son enfance mais dont il n’a jamais eu les commandes. Une force dont il partage des moments mais qui se cache hors de sa conscience.

Les critiques de son enfance sont devenus réalité. Lorsqu’on ne cesse de vous dire que vous êtes paresseux et incontrôlable. Ces étiquettes deviennent une seconde nature, l’enfant puis l’homme se dirigera inconsciemment vers elles en modifiant son comportement. C’est le travers des prophéties auto-réalisatrice. Les situations restent ancrées dans la mémoire, les étiquettes sont intactes en grandissant.  Ichon est accaparé par la flemme de charbonner, à quoi ça sert lorsqu’on ne se sent pas à sa place ? Il ne comprend pas lui-même ce qui le pousse à écrire, Ichon est incapable de donner un conseil sur la création artistique, il refuse de reconnaitre que son œuvre possède une quelconque valeur pour autrui. Pour lui, l’écriture n’est qu’une manière de se libérer d’une pression intérieure, de culpabilités, de remords, de forces puissantes en les confiant au papier. Cet exutoire, sous forme d’art brut, constitue la solution poétique d’une âme en désarroi, dépourvue de l’autorité nécessaire pour se gouverner elle-même, face à ses douleurs existentielles.

« C’que je sais, je l’ai appris, je l’ai pas volé […] On fait avec c’que la vie nous a donné »

Ichon distingue deux actions très différentes : être et avoir. Il laisse envisager qu’il a été susceptible de voler des biens durant sa vie, que des gens l’ont considéré comme un voleur. Cependant, ce qu’il a appris sur lui-même, il le considère comme un dur labeur. Il s’est construit selon ses propres intentions et n’est que peu influencé par son entourage. L’expérimentation sur soi est notre seule connaissance, un savoir dont la portée est universelle, qui nous lie les uns aux autres. Il n’est qu’un homme mais ses abîmes prennent racines dans l’inconscient collectif.

La descente en Enfer

Ichon nous évoque un voyage dans les Enfers dans deux morceaux : Interlude et Sans mentir. Ce dernier représente les prémices de ce voyage.

« Je n’me laisse plus l’temps d’respirer
Je sais que ça aurait pu être pire
J’veux juste faire mon temps et me tirer
Pour que demain j’ai le temps de vivre »

Ichon nous expose un sentiment d’urgence dominant dans cet album. Il ne se laisse plus le temps de respirer. D’une part, lorsque nous adoptons une mauvaise respiration, les émotions nous submergent et nous sommes davantage anxieux. Celle-ci peut avoir une répercussion sur notre état de santé général. D’autre part, Ichon nous montre son incapacité à se calmer. Il est dans une perpétuelle fuite en avant et se rassure en projetant de vivre le lendemain un temps de bonheur qui lui tomberait dessus. Malheureusement, Ichon a enclenché une spiral infernale qui remplace continuellement une envie par une autre. Il ne sait plus ce qu’il fuit mais doit fuir, provoquant une frustration permanente.

[Refrain]
« J’tirais sans mentir
J’vais m’en tirer
J’y vais sans m’enfuir
Sans me r’tirer »

Son sentiment d’urgence l’avertit d’une dégradation interne et remonte des idées noires à sa conscience. Ichon éprouve une crainte et une résistance devant une descente trop profonde en lui-même. L’angoisse devant le voyage aux Enfers est puissante, il n’est plus capable de s’enfuir. Ichon nous dévoile un déchirement profond de son être. Il nous fait part d’une opposition troublante puisqu’il semble vouloir se tirer une balle contre lui-même et dans le même temps, vouloir « s’en tirer », vaincre son angoisse. De plus, les allitérations en « r » reproduisent la sonorité de ses tiraillement intérieur résultant de ses volontés contradictoires.

Le titre Interlude, véritable chef d’œuvre de l’artiste, symbolise sa descente aux Enfers. Au cours d’une interview issue d’une émission indépendante ‘’Grünt’’, Ichon est revenu sur cette épisode de sa vie. Il dit qu’il s’est approché de la folie. Un voyage intérieur d’une semaine dans lequel il croit qu’il est mort. Il avait l’intuition que ses proches autours de lui, allaient lui annoncer qu’il se trouvait en Enfer.

[Intro]
« Le monde est rempli de vermines
J’ai plus le temps de faire belle mine
Style libre, ivre »

Le terme ‘’vermine humaine’’ est l’ensemble des individus remplis de mépris qui condamnent les autres par la morale. Cette dernière est la science du bien et du mal, qui guide l’action humaine soumise au devoir et ayant pour but le bien. Selon le mythe, l’Enfer est un lieu de rétention destiné à ceux qui font le mal par le biais d’une morale néfaste pour l’Homme. Au cours de sa vie, l’être humain dans le for intérieur d’Ichon se fait tuer par la morale établie. Il n’est plus capable de vivre en façade et de dissimuler cet assassinat. La résistance qui lui permet de respecter les codes à suivre se désintègre, sa conscience s’échappe. Une attitude éprise d’une liberté totale menace de devenir de plus en plus subjugante à mesure qu’il s’enfonce dans l’inconscience. Cet état se rapproche de l’ivresse selon Ichon.

« Ils pourront rien me faire de plus, j’en doute
J’suis dans le dio-stu, j’me bute
Leur histoire nous concerne plus
J’veux tout et tout d’suite
J’leur mets des coups d’bite comme un fils de pute »

Ichon se sent intouchable car il se croit en train de mourir : « j’me bute ». Il est à présent loin de cette histoire de morale à suivre. De plus, Ichon est soumis à des forces archaïques et inconscientes se dévoilant par un puissant instinct sexuel. La musique est accompagnée par des backs de la voix criarde d’ichon. Tout le long du morceau, la fréquence sonore varie bien plus que dans les autres pistes de l’album. Les différentes tonalités de sa voix amplifient la sensation et la tension dans sa musique. Les cris aigus nous font ressentir une angoisse insoutenable et nous submerge à notre tour dans un tourbillon saisissant de couleurs : Rouge Sanglant, Jaune Pâle et Bleu Sombre.

[Pont]
« Pardonne-moi qu’on en termine
Je n’voudrais pas qu’on s’éternise
Plus rien à voir, j’ai le vertige (je t’aime)
Plus rien en moi, j’ai le cœur vide
Pardonne-moi qu’on en termine (je t’aime)
Je n’t’aimerai pas pour l’éternité »

 Il rencontre l’enfant peiné si longtemps oublié. Ichon lui demande pardon de l’avoir mis en cage, lui et ses émotions, « j’ai le cœur vide » et lui partage le vertige de ses larmes qui ruissellent en son intérieur depuis l’enfance. Se pardonner et s’accepter tel que l’on est, voilà ce qui signifie être fort. La confiance remplace la peur, la joie remplace la peine. L’élan vital le regagne.

« Yo, toute notre époque en chute libre, école stupide
BAC +6 encore plus stupide (fils de pute)
Tu flippes, du flic, du fric, du SMIC, tu pries, tu milites
Tu signeras plus vite si tu dis d’la merde dans ta musique
[…] on nous enferme, on nous enferme, c’est l’enfer »

Ichon vit une renaissance. Ses émotions sont sorties de la cage, il libère sa colère face à l’oppression extérieure et plus particulièrement vis-à-vis du système éducatif.

De l’art Brut à l’art thérapie

Les œuvres réalisées spontanément par des autodidactes dépourvus de culture artistique sont d’une grande richesse artistique mais également thérapeutique. Ecrire dans un langage symbolique, dans d’autres termes, écrire de la poésie permet d’affaiblir notre résistance qui dissimule nos sentiments et aspirations profondes. Nous avons tous besoin de vivre en communauté et de nos jours, l’organisation et l’ordre sont devenus complexes et oppressantes. Intégrer un système d’une telle ampleur nous amène à obtenir un confort matériel très satisfaisant et une quête de sens à travers son métier qui consiste à améliorer l’engrenage de cette imposante machine. Cependant, nous avons tendance à refouler notre monde intérieur qui n’a plus grand-chose à voir avec l’extérieur. Il y a toujours conflit entre le désir individuel d’agir librement en ne faisant plus attention à rien et la nécessité de prendre les autres en considération. De ce fait, inconsciemment nous filtrons nos pensées, sentiments, sensation et intuitions pour qu’ils soient en adéquation avec la morale et la norme établie. Obnubilé par le regard des autres, nous disparaissons peu à peu jusqu’à nous oublier et suivre une vie dont nous n’avons plus les clefs. Cette thérapie par l’écriture nous permet d’accéder à nos sentiments refoulés et nous mène vers une voie propre et unique. Elle nous aide à façonner une vie harmonieuse et paisible.

Dans le cas de Ichon, cette thérapie est libératrice. Sa création poétique met en évidence des déséquilibres intérieurs dus à des agissements refoulés dès son enfance. Dans le son Je ne suis qu’un homme, Ichon témoigne de ses problématiques profondes, ses douleurs, ses violences et ses contradictions

« Avant j’voulais être l’premier
Maintenant j’veux juste être le seul
J’sais pas qui pourrait m’pardonner
J’vois pas qui pourrait m’faire peur »

Maintenant adulte, Ichon se rend compte que son désir enfantin de compensation (être un champion) a provoqué un profond déséquilibre dans sa vie. En effet, cette compensation entrainera chez lui un trouble psychologique : une dissociation de la personnalité. Ichon a dû être embarrassé pour comprendre ses agissements car il était tiraillé entre son personnage de champion et son personnage triste dont les pensées étaient morbides et dont la confiance en soi était faible. Pendant de longues années, ce va-et-vient entre les deux personnalités distinctes n’a pas cessé dans la vie de Ichon. Le personnage de champion s’est manifesté comme un faux ‘’moi’’, centre de la conscience. La tentation est souvent grande de vouloir être ce que l’on parait, ce que les autres croient que nous sommes. Lorsque la peine est immense, l’enfant met ses émotions en cage et vit en façade. L’être humain est capable de s’emprisonner pour sa survie. Lorsque le moi s’identifie à un personnage créé, on se perd dans une illusion et l’être devient le paraitre. Ichon a senti cette dualité des personnalités en lui et ne « veut plus être le premier », le champion qui court plus vite que les autres. Il sent le besoin de retrouver son unicité : « Maintenant j’veux être le seul ».

Il se demande qui pourra lui pardonner d’avoir longtemps vécu dans le paraitre, de s’être menti à lui-même. J’imagine qu’il demande pardon à l’être humain qui réside en lui. Il l’a voulu faire disparaitre ses véritables émotions qui s’écoulaient en lui, maintenant Ichon cherche à regagner sa propre confiance grâce au pardon. Il se demande qui pourra lui faire peur à nouveau. Selon le rappeur, la seule peur justifiée est vis-à-vis de lui-même. Ichon a longtemps projeté sa peur sur les autres entrainant une violence inouïe portée vers l’extérieur car il n’avait pas conscience de son conflit intérieur.

Conclusion

Le morceau Pour de vrai clôture l’album. A la suite du voyage en enfer qu’il a entrepris, Ichon nous évoque son envie d’être vrai. Il veut mener une vie simple et suivre sa trajectoire, en adéquation avec ses sentiments et ses émotions.
A l’image du mythe héroïque, Il suffit de le faire représente un combat intérieur afin de regagner la lumière. Dans les eaux profondes, Ichon est dévoré par la baleine symbole d’une diminution ou d’une extinction de la conscience. Retenu captif dans un monde intérieur, au fond de l’océan, il est exposé à toute sorte de terreur. Emprisonné et sans secours, Ichon est à la merci de son énergie débordante et incontrôlable. Le héros s’est volontairement livré à la mort, pour faire naitre une vie féconde dans cette région inconnue qui jusqu’à là se trouvait dans la plus obscure inconscience et dans l’ombre de la mort. Ichon réussit à tuer la baleine de l’intérieur et, remplit de légèreté, à rejoindre la surface symbolisant le retour à la conscience.

Ô Mer de couleur miroir, nul ne connait le fond de tes abimes. Stylo noir pour t’apercevoir, nul ne connait tes démons intimes. Menée par un flow de vagues, la voix d’Ichon navigue la conscience tranquille, jusqu’au bout de l’instrumentale.

« J’ai pas d’conseils et je n’sais pas où je vais comme toi
Elle tourne la Terre, et je sais qu’elle tournerait sans moi
Faut qu’j’trouve mon délire
Donc j’cours comme j’l’ai dit 
Quand l’doute m’envahi
J’fais groover ma vie
J’le fais pour de vrai, yeah
Pour de vrai

Ichon sortira son premier album Pour de Vrai trois ans plus tard. Une création musicale qui sort des marges de l’art Brut car Ichon s’allie avec cette énergie impalpable qu’il a su dompter. Dorénavant, Ichon se sent artiste et entier.

Le clip du morceau Maintenant

Concert acoustique dans les rues de Paris de Ichon accompagné par deux musiciens et beatmakers émergents : PH Trigano et Lewis OfMan. 

Le rythme des mots, une palette d'émotions, une instrumentale. La recette d'un album de rap.

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