







Dinos est considéré comme l’un des meilleurs paroliers du rap français. Alliant une écriture appliquée et rythmée, il est également capable de créer de jolies mélodies remplies d’émotions vives. Lors de ses albums, l’auditeur navigue du rire aux larmes sur le flow de parole du rappeur. Réalisme teinté de spleen, romanesque au cœur serré et égotrip piquant ; voici une liste quasi-exhaustive des genres lyricals que le rappeur affectionne. A la suite de son premier album Imany, Dinos remet au gout du jour une rigueur d’écriture qui n’est plus de mise, et même souvent laisser à l’abandon actuellement dans le rap. Son perfectionnement des lyrics est lié à l’attachement qu’il conserve envers l’âge d’or du rap français (l’époque des instrumentales Boom-Bap et du mixage crasseux). Lorsqu’il s’exprime dans les médias rap, Dinos n’a de cesse de revenir sur la fascination qu’il porte à l’égard du premier album Temps Mort de Booba et de l’album Mauvaise Œil du groupe Lunatic (Booba / Ali). Ses accroches au fondement du rap l’ont suivi tout le long de sa vie, et l’ont même valu d’être classé dans la case puriste. Cependant, cette étiquette ne lui correspond pas (de toute façon, ce n’est jamais le cas) car le rappeur s’est diversifié dans son album Imany. Il est attentif à créer certains morceaux moins rythmiques que mélodiques pour qu’ils soient accessibles au grand public. La magnifique chanson d’amour Helsinki en est l’un des témoins.
En 2019, Dinos dévoile un deuxième album davantage introspectif. Selon les dires de l’artiste, la création de Taciturne était portée par l’intime conviction qu’une chose ne s’est pas encore manifestée. N’ayant eu recours à un quelconque raisonnement, la forte inspiration intuitive de Dinos a permis d’improviser sur la grande majorité du disque. Techniquement irréprochable, le rappeur a construit son album à l’instinct faisant place à une spontanéité franche et sincère. A la sortie de Taciturne, son succès ne le fait plus douter.
Présentation de la pochette


Pochette de l’album Taciturne
Cette photographie capture, dans un format carré, le rappeur Dinos assis sur un banc public. À l’arrière-plan, un arbre se lamente et perd son feuillage. Les feuilles automnales jonchent le sol bitumineux et se déposent sur la moto de Dinos, la présence du casque dévoile l’appartenance du cylindré. Les feuilles se mêlent au châssis de la moto et entraine chez le spectateur, une impression de rouille. Cet effet rallonge l’immobilité de Dinos au cours du temps. A l’instar de la méditation de Bouddha assis contre un arbre, Dinos prolonge un instant figé et silencieux jusqu’à ce que la mort vienne le chercher. L’artiste se détache de ses désirs, l’artiste se détache de la dynamique incontrôlable de ce monde. La pochette de l’album renvoie au format ‘’carré’’ des pellicules de cinéma. Cette dimension d’image était standard à l’âge d’or du cinéma muet dans les années 20. Ce genre cinématographique fait écho à l’humeur Taciturne de l’artiste, nom porté par son album. Dinos n’est pas disposé à faire la conversation. De plus, la pochette est constituée de deux parties. L’extérieur épuré est en contraste avec l’intérieur riche par ses détails. L’album de Dinos nous mènera-il dans son intimité, intérieure et secrète ?
La vie de banlieusard
Le rappeur dépeint son quartier le bic à la main. Originaire de Courneuve en Seine-Saint-Denis, Dinos décrit une jeunesse qui s’égare et se perd entre grisaille et désillusion dans la forêt de béton : « Si j’aurais grandi ailleurs, j’me demande c’que j’aurais été / J’dis ‘’si j’aurais’’ parce que c’est comme ça qu’on parle dans ma cité ».
« Les Champs Elysées brillent avec la lumière de l’Afrique »
Les Champs Elysées sont une avenue parisienne dans laquelle les vitrines de boutiques françaises de luxe s’étendent tout du long. Cette prestigieuse avenue représente la richesse de la France. Dinos nous rappelle que l’économie française s’est développée en autre grâce à l’exploitation des africains membres des colonies françaises au cours des deux siècles passés. Les ressources naturelles du continent ont été très convoitées par la France. De plus, les vagues d’immigration en France lors du XXème siècle ont permis d’embaucher de la main d’œuvre dans l’industrie ou les travaux publics, secteurs délaissés par la population française active. Dinos met en lumière le rôle du continent Africain et de sa population dans l’accroissement de l’économie française au cours des siècles passés.
« Du pilon, un flash de Polia’ et des garettes-ci, les anciens ont pas mis d’côté, ils essayent de tter-gra les p’tits
La Courneuve, 93-120, fier représentant »
La majorité des jeunes français issues des vagues migratoires du XXè siècle ont grandi dans des cités de béton construites en urgence au-delà du périphérique parisien, dans une France déjà en crise de logement. Un sentiment de différence s’instaure entre banlieusard et parisien que le film La Haine de Matthieu Kassovitz met en évidence. Tout au long du morceau Booska Taciturne, Dinos nous décrit les habitudes d’une population en perte de repère. Une génération déracinée de son histoire, est confrontée à une crise d’identité ; elle ne se reconnait pas comme citoyen français. En manque de sociabilisation, son frein à l’adaptation l’amène à présent à affectionner le communautarisme.
« Le silence fait plus mal que les mots
chez nous l’espoir c’est l’argent des pauvres »
Dans le premier morceau de l’album, On meurt bientôt, le flow lancinant de l’artiste vibre sur une corde de manière monotone. Accompagné d’un piano en guise d’instrumental, Dinos s’exprime : « Le rap comme seul exutoire ». Il le sait, une parole qui précède un temps de silence, amplifie la force des mots. Dans ses textes, il dégaine des mots lourds de vérité et les manie avec finesse. Lorsqu’il rappe, il boxe avec les mots. Lorsqu’il ne rappe plus, le silence le renvoie à ses conditions misérables. Dans son quartier épris d’une profonde détresse, il ne reste plus que l’espoir pour survivre. Le silence est perçu comme une confrontation ; une sorte de temps de réflexion dans ce malaise social, dans cette situation sans issue.
« Quand les cailleras prient, il pleut au paradis […]
Mon quartier, c’est la guerre, y’a rien d’neuf à La Courneuve
Ça fait deux ans qu’l’ancien premier d’ma classe est à Fleury pour meurtre »
Au cours du morceau Quand les cailleras prient, Dinos songe au passage entre la vie et la mort car dans son quartier, les cailleras prêchent la bonne parole. En référence au morceau When thugs cry, times is hard du célèbre rappeur 2pac, Dinos nous dévoile une situation préoccupante : Les cailleras font pleuvoir les balles et entrainent dans leur chute des individus vers l’autre monde, celui des morts. Dès lors que les balles résonnent, le quartier est infréquentable et l’ascenseur social est en panne. D’autre part, un deuxième sens porté sur l’espérance se glisse dans cette citation. Dinos semble signifier que tout individu qui a fauté peut se relever. La prière est une façon de se plonger en soi vers une quête de sens. Bien qu’il ait eu un parcours sanglant, le caillera peut se remettre sur le droit chemin. Une trajectoire juste pour soi et les gens qui nous entourent.
Les garçons et leurs émotions
Dinos nous fait part d’une faiblesse ancrée en lui tout au long de son album Taciturne. Ce thème si récurrent porte le nom de capital émotionnel. En effet, le rappeur possède des capacités limitées à extérioriser ses sentiments. Dinos constate que son cœur s’assimile à une cage dans laquelle ses émotions croupissent. Posez à sa fenêtre le regard tourné vers sa ville polluée, il en prend conscience : « Les coins d’mon cœur sont noirs comme les ruelles de ma ville ».
« Les garçons n’pleurent pas, maintenant j’suis un homme
Pourquoi je n’pleure pas ? Mes larmes ne coulent pas »
Si l’éducation est un droit en France, elle n’est pas la même pour tout le monde. Lors de leur éducation, les enfants n’ont pas l’intellect nécessaire afin de prendre du recul sur la reproduction des normes et les règles de genre dans lesquelles ils sont entrainés. Du fait d’une éducation genrée, les filles et les garçons suivent malgré eux dès le plus jeune âge un développement distinct. Ce décalage entraine de fortes différences comportementales entre les deux genres qui sont guidés à se fondre dans un moule distinct. Pour un garçon, l’acquisition d’attributs féminins est vu comme dévalorisant car nuis à leur virilité. Ils ont l’impression d’avoir perdu quelque chose, d’où l’expression : T’as perdu tes couilles ? De plus dans les cas des garçons, l’apprentissage émotionnelle est généralement moins approfondi. Des incidences sur leur devenirs est à prévoir car ces compétences permettent d’acquérir un savoir-être essentiel contre différents troubles, qu’ils soient affectifs ou bien d’ordre cognitif ou attentionnel.
Dans le morceau les garçons ne pleurent pas, Dinos témoigne des difficultés qu’il rencontre pour exprimer ses émotions. Lors d’une absence d’extériorisation, les émotions ne se dissipent pas avec le temps. On constate que l’émotion refoulée s’accompagne d’une rigidification musculaire. Le corps garde la trace des blessures émotionnelles. Le mal-être se conserve et s’incruste en profondeur, de ce fait nous nous enfermons dans notre propre corps qui fait écho à une cage. Les yeux s’assèchent, « mes larmes ne coulent plus ».
« M’aimer, c’est apprivoiser un animal
Qui n’a plus de cœur, qui n’a plus de cartilage
J’ai essayé de changer mais j’n’y arrive pas »
Au cours du morceau @robase, Dinos met en lumière ses relations avec des femmes qu’ils rencontrent sur internet, d’où la présence du @. La rencontre amoureuse dans notre société contemporaine dorénavant ultra-connectée s’initie sur de multiples applications de rencontre. A cause de sa gestion émotionnelle défaillante, Dinos est livré à ses pulsions, d’origine infantile et de nature sexuelle. Son désir amoureux se substitue en un simple désir sexuel faisant de lui un animal à apprivoiser. N’ayant les clefs pour les affronter, les nombreux chocs émotionnels qu’il a enduré au cours de sa vie ont abimé ses cartilages et refroidi le cœur.
[Refrain]
Tu sais qu’j’suis riche mais tu sais qu’j’suis triste, Q7, X6, XN, XX
Tu sais qu’j’suis riche mais tu sais qu’j’suis triste, Q7, X6, XN, XX
Dinos soulève un paradoxe dans le morceau XNXX, il est assez riche pour s’offrir un SUV, Q7 ou X6 mais sa tristesse constante l’amène sur le site pornographique XNXX. Libérer ses pulsions sexuelles représente l’unique alternative à se soulager face à l’accumulation des émotions refoulées. Malgré le confort et la jouissance de conduire le véhicule qu’il a longtemps désiré posséder, Dinos traine son mal de vivre et constate que ses désirs chutent comme les feuilles automnales.
« Les garçons n’pleurent pas, maintenant j’suis un homme
Alors je pleure, alors je pleure »
Le morceau les garçons ne pleurent riche de symbole suit le déroulement de la vie émotive de Dinos. A la fin du dernier couplet, le rappeur se munit d’un flow touchant accompagné d’un saxophone et nous fait part, sur une instrumentale de blue jazz, d’une renaissance intérieure : « Maintenant j’suis un homme / Alors je pleure, alors je pleure. » Dorénavant adulé et seul, ses sentiments se dévoile à l’aube de la maturité. A l’image d’un bateau, le flow du rappeur navigue sur le torrent de ses larmes jusqu’à chavirer d’une tristesse sincère.
La solitude
La thématique de la solitude, omniprésente dans l’album Taciturne, prend une forme symbolique lors du morceau Oskur. Le titre est inspiré par la traduction du mot ‘’cendre’’ en islandais. A l’instar du phoenix qui renait de ses cendres, Dinos entame une nouvelle vie dans laquelle émotions et solitude sont les deux fondements de son écriture. Après avoir navigué sur le torrent de larmes, le bateau du rappeur débarque en Islande, terre de solitude.
[Refrain]
« J’ai quitté le N’Tiekar pour retrouver la son-mai
Quitté le N’Tiekar pour retrouver le sommeil
Quitté le N’Tiekar, quitté le N’Tiekar
Quitté le N’Tiekar, quitté le N’Tiekar »
Dinos met en opposition son quartier de la Courneuve à la maison. En effet, dans le premier cas, la forêt de bétons dans laquelle les HLM poussent tels des arbres, dispose d’une isolation acoustique médiocre. Le vacarme assourdissant empêche d’accéder au silence. Dinos est en quête d’une maison au fond de la forêt où sa solitude aurait la liberté de s’épanouir. Un endroit dans lequel un silence d’apaisement et de quiétude l’amènerait au sommeil. Selon les dires du rappeur, le bonheur reviendrait à disposer d’espace, de silence et de solitude : « J’pensais qu’si j’avais d’l’argent, j’voudrais sauver l’monde / Maintenant qu’j’commence à en avoir, j’veux juste me sauver d’ce monde »
« J’n’ai pas d’attache, pas d’adresse, le passé entre parenthèses
J’avais d’l’espoir avant-hier, Cigale pleine, maman fière
J’ai beaucoup d’nouveaux ennemis, j’n’ai aucun nouvel ami »
Grâce au succès de sa musique dont le concert complet à la Cigalle en est le symbole, le monde est venu à lui. Sa maman est fière mais les autres sont jaloux ou au mieux sont obnubilés par l’argent qu’il amasse, son réseau ou son influence. Hypnotisés par le sacro-saint dollar, ses fréquentations se désintéressent des soucis ancrés en lui, ceux qui sont détachés de son image de rappeur. Celui qui a tant consacrer de temps et d’énergie pour espérer une reconnaissance dans le monde de la musique, y voit dorénavant une limite. Il n’atteindra pas l’idéal rêvé à la suite d’une notoriété en tant que rappeur à succès, juste un accomplissement personnel. En effet, des contraintes pénibles pour le rappeur s’entrevoient dans ses textes. Le rapport à l’autre se fausse à cause d’une célébrité grandissante : Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, la superficialité s’élargit et le noyau dur se resserre.
«Des larmes sur le sol, du sang sur les murs
Si tu m’demandes qui je suis, j’te dirai qu’je suis perdu
Chacun pense à soi, chacun porte sa croix »
Dans la solitude de son être, Dinos est submergé par des vagues intérieures. Loin de sa volonté échouée sur le rivage, le rappeur est emporté par une tempête de larmes aussi bouillantes que son propre sang. Les yeux ouverts, il est à présent perdu dans un lieu où l’eau salée et le sang tapissent un espace méconnu. Chacun porte sa croix. En référence au mythe chrétien, Dinos marche vers la mort en renonçant à être le maitre de ses émotions.
Conclusion
En pleine automne, une feuille meurt et se noircit d’un texte de rap. D’un flow monotone, le rappeur accentue à peine les syllabes. A l’écoute de l’album, J’crois que Dinos bade. Il semble chercher une raison à son mal-être avant de se foutre en l’air. En proie à une intense douleur émotionnelle, l’artiste canalise ses affects. Et pour cela, il entreprend de percer l’énigme de son ombre, lumière obscure et indirecte qui émerge de la beauté froide d’une solitude dont seules les traditions japonaises détiennent le secret. Epris d’une humeur taciturne, Dinos libère ses émotions en s’exprimant musicalement. Le rap éclaircit son cœur. L’inspiration colore ses mots puis le flow démêle et purge ses émotions brutes. Toujours accompagné mais solitaire, le rappeur esquisse l’utopie d’un monde solidaire à l’ombre de sa peine.


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