







Fasciné par la marque de vêtement Ralph Lauren, le rappeur a sorti la trilogie Alph Lauren, trois EP successifs entre 2016 et 2018. Alpha Wann soigne son image et comble ses désirs en portant du linge propre et raffiné. Constituant un thème récurrent dans son écriture, le style vestimentaire a déteint sur sa manière d’abordé le rap. L’esthétisme est de rigueur : le rythme millimétré enrobe un défilé de mots fins et percutants. Au-delà de la sape, ce bilingue a acquis une culture hors-norme dans le genre musical qu’il affectionne. Considéré comme la bible du rap par les gens du milieu, sa vie se résume à écrire des textes, exercer son flow et écouter du rap : La trinité façon Alpha Wann. Loin de vouloir se démarquer par son extravagance, ce rappeur que l’on peut qualifier d’esthète n’a que faire des tours de magie, des effets musicaux, des strass et paillettes. Il déploie un style rapologique absolument saisissant. Un style personnel qui prend source au fondement du rap, qu’il soit français ou américain. En d’autres termes, l’album UMLA compresse les classiques du rap des 20 dernières années. Cultivant les mots et forgeant l’oreille, Alpha wann met à l’honneur ce genre musical dans la lignée du rappeur Kendrick Lamar et de son album DAMN. Désormais devenu maitre dans l’art de rapper, ce perfectionniste a surclassé tous les pères du rap en ce qui concerne le rythme qu’il insuffle à ses mots, son flow de parole. Une main lave l’autre fait l’unanimité au sein du rap underground et dorénavant les compliments envers l’artiste pleuvent. Fier représentant de Paris 14, il se présente comme « le rappeur préféré de ton rappeur préféré ». Conscient d’avoir franchi les portes de l’art moderne, il laisse la concurrence faire de la maille avec leurs albums commerciaux. « J’suis un soldat, pas un mercenaire et je sais comment le cœur se mène / J’pense à mes derniers jours, pas au nombre de vente de la première semaine ».
Présentation de la pochette


Pochette de l’album UMLA
Présentation de la pochette
Cette pochette a été réalisée par le graphiste et photographe Raegular. Elle présente Alpha Wann au premier plan accompagné d’un fond constitué des différentes nuances du ciel. Une main lave l’autre et se joignent pour laver le visage. La présence de l’eau est centrale, elle agit comme un tonifiant naturel stimulant la circulation sanguine afin de retrouver ses esprits. Souvent profitable lorsque notre corps a enduré différentes substances toxiques et un manque de sommeil, ce geste simple suggère une envie d’éclaircir sa conscience et une volonté de changement. L’unification des mains renvoie également à une valeur forte, l’entraide. En suivant le rituel des ablutions, Alpha Wann semble vouloir, d’une façon symbolique, se laver de ses péchés.
Le rap indépendant
Le rappeur a fondé un label de musique, Don Dada Records, et une marque de vêtement, Don Dada Athletics en collaboration avec son acolyte, Hologram Lo, beatmaker du groupe 1995. Artiste mais également jeune entrepreneur, Alpha Wann « rêve d’indépendance comme un corse, basque. »


[Une main lave l’autre]
«1995 ma main gauche et ma main droite
L’Entourage, mon cœur et mon sang, mon gun et mon plan »
Que ce soit dans la forme ou dans le fond, la première phase évoque, à l’aide d’une construction symétrique, une coordination parfaite au sein de son groupe de rap 1995. Elle décrit la fraternité entre chaque membre, qui ont en commun une totale indépendance dans leur création musicale. Par la suite, le collectif l’Entourage dont Alpha Wann fait partie est mise en avant grâce à un parallélisme : « mon cœur et mon sang » / « mon gun et mon plan ». Cette figure de style associe le ressenti intérieur et l’agissement extérieur. Elle forme un ensemble cohérent qui se rattache à la valeur de l’entraide.
[La lumière dans le noir]
« Babylone, tire les ficelles et veut que j’me change en pantin
Très vite oubliés sont les bonheurs enfantins […]
J’esquive le mauvais oeil jeté par ceux qui ne veulent pas que j’me dépasse »
Babylone, symbole de la société, presse le rappeur à agir comme il faudrait plutôt que comme il le voudrait. Il sent que la liberté et l’insouciance, tout comme son enfance, s’échappe au fur et à mesure que le temps passe, « très vite oubliés sont les bonheurs enfantins ». Alpha Wann ne veut suivre le mauvais destin, une trajectoire qui ne serait pas en parfaite accord avec lui-même, « J’esquive le mauvaise œil ». D’ailleurs, Il fait peut-être référence dans cette citation au premier disque d’or du rap français indépendant obtenu par le groupe Lunatic grâce à leur album Mauvais Œil.
[Contrex]
« Pour leur faire savoir que le Don découpe
J’ai l’savoir-faire et je leur donne des cours
Mon reflet me dit : « Cogne les tous »
Mets les dans le coffre comme les courses »
La concurrence produit des albums commerciaux, une succession de hit sans cohérence, un cd seulement bon à mettre « dans le coffre comme les courses ». Pour ce lyriciste qui aiguise incessamment sa lame, les hits sont une injure aux fondements du rap. Alpha Wann propose aux concurrents de ce rap jeu, d’écouter son album en guise de cours de cuisine pour qu’il comprenne au moins la technique de la découpe. En effet, Alpha Wann accuse les autres rappeurs de faire de la chanson pour élargir leur public, « Ces rappeurs du dimanche veulent chanter comme The Weeknd » et constate qu’il est bien seul à performer dans ce genre musical, « J’suis au sommet de leurs pyramides / J’suis le dernier rappeur qui rappe ».
[Stupéfiant et noir]
« Je suis quelqu’un d’peu exemplaire, ouais, j’suis peu exemplaire
Mais l’album est vrai, achète deux exemplaires
Viens pas m’léchant les noix ou en m’cherchant des noises
J’suis comme le shit : stupéfiant et noir »
Alpha Wann ne produit pas des tubes destinés à des fins de diffusion commerciale élargie tels que passer en boites de nuit ou à la radio, « encore un son qui passera pas sur Sky[rock] et alors ? ». Connu pour son sabotage commercial, par exemple en disant que le morceau qui se vend le mieux, Cascade Remix, est celui qu’il aime le moins, le rappeur entreprend de promouvoir avant tout, l’atmosphère global de l’album. Pour cela, il propose un album homogène et harmonieux qui peut s’écouter d’une traite. C’est pourquoi il demande à ses auditeurs avec une pointe d’égotrip, d’acheter deux exemplaires au lieu d’un en gage de qualité. En analogie à la résine de cannabis, le rappeur noir de peau, suscite un état de stupeur et une accoutumance chez ses auditeurs à l’écoute de son album Une main lave l’autre. « J’suis comme le shit : stupéfiant et noir »
La richesse et les vices
Dans notre société, la richesse se définit sur le plan économique. Loin d’un attrait pour le capital culturel ou social qui est moins perceptible, on suit la loi du lingot désirant acheter des biens et services. En quête de richesse pour brandir la liberté de choisir et parader avec le produit consommable qui nous fait rêver, nos aspirations se réduisent à une dimension matérielle. « J’te décris ma vie en la peignant dans un monde où être libre est payant »
[Parachute chanel]
« On vient pour augmenter la mise
Parachute Chanel, parachute Chanel
Aucune messe basse pendant la messe
Parachute Chanel, parachute Chanel
On vient pas pour parler chinese »
Lors de ce refrain à la structure compressée, Alpha Wann évoque la façon dont il réinvestit l’argent qu’il génère par sa musique. Dans un premier temps, la mise représente la richesse qu’il amasse par la musique. Ensuite le parachute chanel est une image riche de sens, Il renvoie à un mouvement de descente que le rappeur anticipe, lorsque sa carrière musicale perdra de son souffle ascendant. Le parachute est composé de tissu, matériau fortement associé au vêtement et Chanel symbolise la marque de luxe à la française, « on vient pas pour parler chinese ». Alpha Wann ne compte pas faire de messe basse, il nous prêche la bonne parole « pendant la messe » : Après la musique, je me lance dans le textile de luxe.
[Le piège]
« L’homme veut impressioner avec des logos et des sapes
Les seuls qui s’en foutent sont les clodos et les sages
Tout est dans l’paraitre, parce que l’homme juge à l’apparence
Faut être paré, surtout à Paris, ouais j’dis ça mais j’suis pareil
Ca tourne pas rond dans ma tête, ça tourne pas rond, eh »
Dans une société matérialiste qui use du PIB comme indicateur de bon santé, la devise serait : produire et consommer des biens et services pour avoir confiance en l’avenir. Chaque entreprise crée un imaginaire et le diffuse grâce à l’industrie lourde de la publicité dont le but est de capter notre attention. Dans la suite du business plan, les gens s’identifient, se fidélise et achètent les biens consommables par soucis d’appartenance. Lorsque l’imaginaire de l’entreprise nous absorbe, nous assimilons ses normes et ses valeurs. De cette façon, nous collaborons avec le système économique afin de mieux paraitre devant les gens, et ainsi éviter tout jugement. En prenant l’exemple du modèle de chaussure Stan Smith, une phase de Népal est criante de vérité sur ce phénomène : « Neuf du mat’ ligne 10, pour m’endormir, j’compte les Stan Smith ». Selon Alpha Wann, « Les seuls qui s’en foutent sont les clodos et les sages ».
[Contrex]
« Je parle que d’sexe et maille, je sais qu’c’est malCe système me gratte comme eczéma, Babylone veut me mettre échec et mat
J’attrape ce microphone, mon équipe attrape le Jack
On mène une vie trop folle, à part le diable, y’a pas d’ennemi trop fort »
Le jeune entrepreneur avance et défend ses pions face aux joueurs déjà bien établis sur l’échiquier économique. Pour répondre à l’attente des auditeurs de rap, Alpha Wann suit les codes en arborant des thèmes dont les racines puisent dans le gangsta rap. Vu que les gens ne s’intéressent plus à l’intérieur de l’homme mais bien à ce qu’il représente, Alpha Wann crée un personnage superficiel qui concentre les vices de la société pour que les auditeurs puissent s’identifier à lui. Le rap, comme toute forme artistique, est une vitrine de notre société dont le faible reflet renvoie à nous-même. En l’occurrence dans ce genre musical, le fond se dissimule dans la forme, toujours plus absorbante et ingénieuse. Le contenu n’est plus qu’une image percutante toutes les trois phrases qui s’ancre en nous sans le savoir. Une sorte d’art qui s’adapte à son temps en proposant une ambivalence sonore et visuelle, instrumental et clip, pour capter l’attention rendant la poésie accessible et consommable.
[ Langage Crypté]
« J’peux pas r’donner la vue à l’aveugle ou changer une pute en femme en foyer
J’ai qu’vingt consonnes, six voyelles, hein »
Alpha Wann ne prône pas la vertu dans son album. Il n’use pas de son influence pour changer le cours des choses. Il ne s’attache pas à l’utile, il perfectionne la forme au détriment du fond délaissant le contenu et son message. A la recherche d’une esthétique novatrice, il combine consonnes et voyelles pour former des mots à la sonorité voulus et s’exercer à un style moderne et éclatant sur des instrumentales de qualité.
Le passé le rattrape
Tout au long des morceaux Fugees et Une main lave l’autre à la fin de l’album, Alpha Wann entreprend une rétrospective de ses regrets et remords qui le hantent toujours. Il témoigne de ses mauvaises décisions et souhaite se libérer de ses torts grâce à son écriture, une forme d’exutoire. Un mélange de désirs, de plaisirs volatiles, et d’une tristesse cristalline assombrit ses mots d’une émotion sincère et dessine le paysage imaginaire de son for intérieur. A défaut de feindre l’oubli, le rappeur veut insuffler un nouvel élan à sa vie.
[Fugees]
« Trop de regrets et trop d’erreurs, j’sais pas où j’suisMes premiers années d’adulte ont un goût d’shit
Elle est loin l’époque où j’écoutais les Fugees
Les regrets s’accumulent plus vite que les bougies »
Certainement sous l’effet d’un morceau de musique qui le plonge dans la mémoire du temps, Alpha Wann se retrouve à une époque de sa vie marquée par l’écoute d’un groupe de Hip Hop américain, les Fugees. Le temps commence à prendre du relief après cette chute dans le passé et aussitôt, le rappeur remonte vers le présent suivant le chemin des souvenirs se remémorant chaque intersection et son choix décisive qui lui est lié. Lorsqu’il est enfin arrivé en haut du sentier, il prend conscience de l’ensemble du chemin qu’il a parcouru jusqu’à maintenant. Dès lors, le passé se solidarise avec le présent et l’artiste est accaparé par un sentiment d’irréparable car de nombreux regrets le tourmentent.
[Une main lave l’autre]
« Han, j’m’épaissis, le lieu rétrécit, je m’secoue
J’tape les murs comme un dépressif, où est l’issue d’secours ?
C’est dur d’ouvrir les yeux, j’crois qu’j’suis pété »
Alpha Wann met en commun deux moments de sa vie, le premier instant, celui de sa naissance et l’instant présent consistant à écrire son album UMLA. A première vue, il décrit les états d’âme d’un individu introverti à tendance dépressive qui prend du poids et fume des joints cherchant un idéal en lui faute d’un épanouissement extérieur. Cet homme qui se fait du mal représente, un artiste qui plonge dans son obscurité pour que jaillisse l’inspiration, Alpha Wann durant l’écriture de son album Une main lave l’autre. Une deuxième lecture se dissimule, elle évoque d’une façon plus abstraite les derniers moments de gestation du rappeur dans le ventre de sa mère. A l’étroit dans le placenta, il cherche à sortir. Ainsi, cette citation porte une fonction symbolique, elle réunit le concret et l’abstrait, le passé et le présent, la sortie de l’album et la naissance. Dans ce genre musical novateur, la succession de phases crus et directs à la forme contractée, loin des codes grammaticaux, réunit deux idées antagonistes pour projeter une image singulière et percutante : « Hey, moi, j’suis pas sorti du ventre de ma mère pour vendre de la merde. »
[Une main lave l’autre]
« Je suis celui dont la famille a très honteJ’existe à travers une mine de crayon, mène une vie d’mécréant
Le daron pense qu’il n’aurait pas dû venir ici
Fils aîné lyriciste, menteur, voleur, consommateur d’illicite
Ma vie est flinguée, c’est le moi le tireur, quelle honte
J’ai des p’tits reufs, faut que j’m’écarte du mauvais chemin et qu’Dieu les garde, ouais »
Alpha Wann est absorbé par un sentiment d’impuissance face à ses actions passées. Vulnérable, il se dévalorise et doute de soi, « Ma vie est flinguée, c’est moi le tireur, quelle honte, j’ai des p’tits reufs ». Le rappeur voudrait effacer des paroles et des actes, il désirerait que le passé n’ait pas été pour se libérer d’un poids moral, une souffrance qu’il porte. Le passé le gagne, le remord le ronge. A l’origine, ses désirs ont été contrariés mais ont réussi à aboutir, « Fils ainé lyriciste ». Cette citation dévoile un homonyme à deux sens, « fils est né lyriciste », ce qui renvoie à un don naturel et, « fils ainé lyriciste » représentant l’accomplissement de ce don, certes mal perçu par sa famille, mais reconnu et approuvé par ses fans. Le rappeur peut se rassurer en se disant que ce que l’on regrette le plus, c’est ce que l’on n’a pas fait, et puis comme l’a dit l’écrivain Oscar Wilde, « les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais ». Enfin, ça n’empêche pas le remord d’exister, et même s’il est souvent moins éprouvant que le regret, ses conséquences sont douloureuses : La vie perd de son gout, les désirs sont devenus amers. Ce sentiment de tristesse nous oppresse sous le poids de la douleur morale. Malgré tout, Il ne faut pas le ressentir comme une punition que l’on s’afflige à soi-même, mais plutôt comme une épreuve utile, une sorte de remède qui sert à décharger notre moral d’une faute commise.
[Une main lave l’autre]
« J’perds mon temps à appliquer mon art et j’mène une vie d’ordure
Seule la prière peut recycler mon âme
Une main lave l’autre »
Les émotions forgent nos souvenirs et imprègnent notre passé qui s’impose à nous. Incapable de s’en défaire, notre vie antérieure à l’instant présent dissimule notre véritable identité. De ce fait, prendre du recul sur sa vie signifie se confronter à soi-même. Immergé dans les flows de son passé, le rappeur entreprend un voyage intérieur et part voguer dans les eaux troubles à la découverte de son âme, une notion qui se rattache à l’idée fondamentales de vie. Tout autant que la prière, les regrets et les remords sont une rencontre avec soi-même. Ils sont étonnements capables de nous révéler à nous-même et d’ouvrir la porte à nos aspirations les plus profondes. En noircissant sa feuille de son mea culpa (aveu d’avoir commis une erreur qui aurait pu être évitée), Alpha Wann recycle son âme. En d’autres termes, Il se lave de ses péchés, « Une main lave l’autre ».
Conclusion
Les morceaux défilent et, tirant son flow de son fourreau, Alpha Wann épluche en lamelle chaque instrumentale raffinée et variée, produite par une belle brochette de beatmakers : Hologram’Lo, Seezy, VM The Don et Diabi. Fidèle à lui-même, le rappeur perfectionne ses structures de rimes et étale sa technique irréprochable sans en oublier une syllabe. La recette est appliquée avec les méthodes traditionnelles du rap et la préparation ancestrale, éprise de souvenirs passés, forge l’intérieur. Cuisinant ses mots à longueur de journée, Alpha Wann nous présente le fruit de son travail, UMLA. « J’ai pas la clé du bonheur, je sais juste que les charbonneurs se lèvent à la bonne heure ».


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