Une nuit avec un bon gamin, Loveni

 Thématiques abordées : Nuit, Peur et Fête

Posté le 2 Mai, 2021

Une nuit avec un bon gamin, Loveni

Thématiques abordées : Nuit, Peur et Fête

Posté le 2 Mai, 2021

Encore lycéen, Loveni écume les open mics à partir de 2009. Il gratte des couplets sur la feuille et les rappent, pieds sur le bitume et la tête dans les nuages. Ce rêveur aime se perdre dans les ruelles parisiennes. Dès que l’opportunité de fuir sa routine se présente, il se réfugie dans l’imprévisible, source de sa liberté. Ce bon gamin joue avec l’incertitude comme le chat traque la souris. A force de se chamailler avec le temps qui passe, de ne jamais faire du temps son allié, Il sortira son premier EP solo Une nuit avec un bon gamin au bout de 10 ans, en 2019. Peut-être par la faute d’une solitude trop souvent oubliée, une solitude qui le paralyse, Loveni détient un sens de l’organisation chaotique. Lorsqu’il est seul et immobile, le rappeur s’immerge dans un état de flottement dans lequel il dérive loin de toute construction s’éloignant d’une possible concentration. La grande liberté, c’est de se contenter de son propre bateau sans envier ceux des autres, et cela, Loveni le sait. Il s’est exercé sur ses multiples flow en improvisant les paroles. Son projet musical est inspiré par ces nombreuses années antérieures à 2019, c’est-à-dire, dans l’agitation permanente, les potes autour et les fêtes improbables. Une nuit avec un bon gamin est produit quasiment exclusivement au studio entouré de dix potes. Les paroles à peine écrites, s’improvisent à l’image de sa vie depuis quelques années. Si l’ensemble des personnes s’enjaillent et que les têtes bougent, Loveni conserve son couplet. Influencé par le rap de l’ancienne école, ce rappeur intuitif suit ces codes personnels et les respecte se montrant détaché face à ceux de sa génération. Les morceaux de cet EP gravitent autour d’une même thématique, celle de la nuit. Ce projet nocturne nous amène dans la ville de Paris, lorsque le soleil s’éteint et émergent, les couleurs froides. Loveni nous entraine dans une ride du crépuscule jusqu’à l’aube toujours accompagné de ses proches, en featuring ou à la prod. On poursuit la nuit avec ce bon gamin qui a pris l’habitude d’abandonner sa solitude pour rejoindre ses potes. Le coucher du soleil est le signe d’une nouvelle aventure qui commence. S’échappant d’un silence étouffant, la fête s’introduit et les verre vides se remplissent.

Présentation de la pochette

 Pochette de l’album Une nuit avec un bon gamin

Présentation de la pochette

La pochette de l’album est constituée d’une photographie, semble-il, prise de façon imprévue. Les couleurs froides font écho à l’obscurité de la nuit. On devine les mouvements imminents des protagonistes. Cette photographie pleine de vie, nous dévoile une conversation improvisée dont Loveni fait partie. De nombreux contrastes se dissimulent : vêtement noir et blanc ; lunette noire et nuit blanche ; obscurité et éveil. La netteté de l’image décline, notre attention se dissipe. A l’image de la lampe dans le fond, le décor en vrac nous rappelle la désorientation d’une fin de soirée dans l’ivresse. A la suite de nombreux verres dans le sang, la tête dissimule un cerf-volant. Le rappeur est plongé dans un état d’apesanteur entre vertige et légèreté. Les mots se troublent, les sens s’entremêlent. Une fête se poursuit dans la nuit.

 Avant d’entrer dans la fête nocturne de l’EP Une nuit avec un bon gamin, nous verrons une courte représentation de la nuit dans l’histoire de l’humanité et à l’échelle d’une vie.

La nuit, une peur archaïque 

S’enfoncer dans la nuit représente une peur archaïque qui a toujours existé chez l’Homme. La peur du noir est commune en chacun de nous. Des fantasmes se manifestent en lien avec des dangers potentiels que notre vue est incapable de prévoir dans la pénombre. Lorsque la nuit tombait, les premiers Hommes étaient dépourvus de rationalité. En fait, Ils projetaient leurs propres fantasmes provoqués par la peur du noir dans les ressources naturelles à proximité (les arbres, les pierres, les rivières…). Les heures sombres devenaient une période hostile. Les Hommes se réunissaient autour du feu pour se protéger des esprits de la forêt. Ces derniers habitaient les grottes souterraines où l’obscurité régnait sans discontinuité. C’est pourquoi les cavités naturelles étaient souvent un lieu de rituels entre la vie et la mort. A son apparition primitive, la spiritualité permettait aux hommes de chasser leurs angoisses d’eux-mêmes.

La nuit a marqué l’Homme archaïque, celui qui nous a laissé des traces par ses peintures rupestres sur les parois des cavernes. Selon l’histoire de l’humanité, la nuit détient les mystères de l’Homme. Cette période obscure a inspiré de nombreux artistes de tout genre, de la peinture au rap. Intéressons-nous aux secrets qui résident dans une peinture mythique : La nuit étoilée de Van Gogh.

La nuit étoilée de Van Gogh

Ce tableau représente un paysage nocturne chargé de significations. Le ciel lumineux nous captive de son dynamisme troublant. Son assimilation à une étendue d’eau est percutante. Telle une vague, son mouvement provoque ondulation et spirale. En comparaison à une surface d’eau plane, le ciel semble nous dévoiler par un effet miroir les fluctuations d’humeurs de l’artiste. La spirale exprime sans doute l’angoisse qui s’empare du peintre à la tombée de la nuit. La lumière réside seulement dans le ciel. Malgré le fort éclat des corps célestes, la terre symbolisée par le village reste très sombre. Un élément central du tableau se situe au premier plan, Van Gogh a peint un cyprès imposant. Cet arbre toujours vert, porte des fruits tout au long de l’année. Symbole d’éternité, le cyprès que l’on trouve souvent dans les cimetières, présente un lien étroit avec la mort. A l’image des flammes de l’enfer, le peintre avait certainement eu une intuition morbide en peignant cet arbre. Le cyprès joint les deux parties du tableau : La terre et le ciel.

La nuit semble être une période difficile à vivre pour l’Homme. Nous ne trainons plus notre poche d’ombre qui se distingue de notre corps à la vue du soleil. Lorsque le ciel s’obscurcit, l’ombre nous enveloppe. Seul face à nous même, l’angoisse mène sa danse et le vide s’installe. Fuyant ce chaos intérieur, Loveni nous propose de l’accompagner dans une de ses virées nocturnes. A la tombée de la nuit, il pactise avec son ombre afin de s’amuser en sa présence. Le rappeur compte bien profiter des lumières artificielles, profiter de la vie, jusqu’au bout de la nuit.

L’ivresse de la fête

Une nuit avec un bon gamin est un projet porté sur une facette de la nuit, la fête. Une agitation loin du spleen solitaire, dont l’idéal serait de pallier le mal de vivre. Pour cela, il prend un Uber avec ses potes afin de rejoindre une soirée à Paris, ville des lumières.

« J’suis à l’arrière du Uber, à l’arrière du Uber
[…]
Quand je roule le soir, j’suis comme ça, j’connais pas mes limites
Chauffeur, chauffeur, fais un détour par l’épicerie
J’en connais une tout près d’ici
La voiture stoppe, j’ai la gnole, j’ai les clopes, j’ai la dope »

 Dans le morceau A l’arrière du Uber, Loveni introduit un mouvement qui se poursuivra tout au long des morceaux. Le rappeur est captivé par les sollicitations extérieures, son aspiration découle de ses périples nocturnes. Loveni se focalise sur les signaux émis par les gens qui l’entourent, que ce soient ses potes ou les femmes qui l’attirent. Ses nuits de fête se mêlent à une consommation excessive d’alcool et de drogue. Deux registres opposés caractérisent l’ivresse dans l’écriture poétique :  le registre obscur sur la noirceur de l’existence et le registre rayonnant d’une joie enivrante. Cette dernière définit bien la tonalité du projet musical de Loveni.

« Viens on sort, viens on ride jusqu’au lendemain
Au lendemain
T’es pas prête pour ma life, tu l’savais très bien
J’ai envie qu’tu boives
Si tu savais où t’allais tu vivrais sans cet homme
Tu te préfères quand l’ivresse fait bouger ton corps »

Au cours du morceau Verse la gnole, le rappeur nous présente un hommage vibrant à l’ivresse. Davantage qu’un divertissement, sa consommation exacerbée d’alcool est une quête singulière : la recherche d’un dérèglement systématique de tous ses sens. Vin, rhum arrangé ou eau-de-vie. L’alcool s’agite dans son verre sous diverses substances. Loveni prône le lâcher prise. L’improvisation lui vide la tête, puis remplit sa feuille de mots et son verre d’alcools.

« J’fais un p’tit tour dans le piège
Alcool et gues-dro sont nos mèches
J’fais un p’tit tour dans le piège
Alcool et gues-dro sont nos mèches
Salut, y’a trop d’trucs que j’laisse tomber
Trop d’soirs où j’suis défoncé »

 Dans le morceau Le Piège, le rappeur nous expose cet état de non-retour dans lequel notre conscience se dissipe à cause d’un excès de substances psychoactives, qu’elles soient liées à l’alcool ou au cannabis. Plonger dans un état second, l’enivrement détient des vertus libératrices. Dorénavant entière et libérée, l’ombre se tient droite. Le temps s’allège de son poids mais le lendemain, la tête compense et s’alourdit. Le flow agile de Loveni nous amène à chaque rebond de la fête pour poursuivre les joies de l’ivresse sur des beats rythmés. Nous l’accompagnons Toute la nuit dans les dédales de Paname au cours du titre suivant.

Une boucle infinie

La fête se finit à l’aube, le sommeil dissimule la lumière du jour et le réveil coïncide au déclin du soleil. Le mode de vie est lunaire, source d’une inspiration nocturne : « Fête après fête, l’histoire se répète ».

[Refrain : Loveni & Ichon]
J’mettais dit qu’c’était terminé
J’vais m’laisser tenter, ouais j’y vais
Mais ce soir c’est la dernière (yeah)
C’est aujourd’hui la dernière fois

Tout au long du morceau dernière fois, Loveni nous dévoile l’engrenage aux commandes d’une vie qui a tendance à lui échapper. Il lui est difficile de revenir à un quotidien ordinaire qui s’extirpe des vices de la vie nocturne parisienne. Le piège semble s’être refermé sur lui. Le rappeur tente de s’assagir mais le pourra-il ?

[Refrain : Ichon & Loveni]
J’ai envie d’danser avec toi
Maintenant qu’j’suis lancé, toi tu t’barres
Relance toi avec moi, on peut s’amuser encore
J’ai envie d’danser avec toi

 

Accompagné de son acolyte Ichon sur une production musicale dansante, Loveni nous invite à se laisser porter par la mélodie. Le rappeur nous demande de l’accompagner encore une fois dans la valse de la fête, dans une rotation infinie et parfaite. Face aux tourments d’une obscure solitude, Loveni nous prescrit une nuit sans fin en sa présence à écouter en boucle. Et pour ce faire, relance le projet !

Conclusion 

Entouré par les meilleurs producteurs français (Myth Syzer, Ikaz Boi et PH Trigano), le rappeur Loveni nous accompagne dans une fête auditive au rythme ambiançant. La saisissante continuité des morceaux nous mène vers l’obscurité des heures tardives jusqu’au moment où le soleil se lève et nous questionne. L’emprise de ce feu solaire se poursuit toute la journée puis s’éteint au crépuscule, Loveni en profite pour relancer la danse à l’euphorie communicative. Une nuit avec un bon gamin est un éloge au renoncement de toute forme de lucidité. Ce projet musical nous préconise de célébrer la vie sous les artifices de la nuit parisienne, en s’éloignant de notre ingrate et morne solitude.

« Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. » 
[Baudelaire, Enivrez-vous ; Le spleen de Paris]

Le rythme des mots, une palette d'émotions, une instrumentale. La recette d'un album de rap.

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