Trinity, Laylow

 Thématiques abordées : Mélancolie, Digital, Matrice et Films

Posté le 11 Juil, 2021

Trinity, Laylow

Thématiques abordées : Mélancolie, Digital, Matrice et Films

Posté le 11 Juil, 2021

Originaire de Toulouse, Laylow est un artiste touche à tout. Cette autodidacte, chineur de vidéos youtube, a appris à manier une vaste étendue de logiciels 3D et de beatmaking. Cette polyvalence lui a ouvert le champ des possibles. Ne voulant pas limiter son délire singulier, les tendances musicales ne l’intéressent peu : « Mieux vaut pas r’garder, pas r’garder, nan faut pas r’garder ». A défaut d’être un performeur en freestyle comme la majorité de ses confrères, il préfère mettre son nez devant le pc et se servir du numérique pour créer des univers profonds et futuristes. Détenant un capital imaginatif en constante expansion, le rappeur s’interdit certaines pratiques pour donner un cadre à sa musique : « La couleur vient de là. Toutes les mélodies positives, tous les synthés trop faciles, trop cramés, trop directs, les BPM trop rythmés, trop dansant… On a tout dégagé. Tu ne peux pas danser bêtement sur l’album. » Au-delà d’être rappeur, Laylow entretient une relation passionnelle avec le cinéma, le potentiel créatif derrière la caméra le fascine; Il s’est pris une claque phénoménale lors du visionnage du film Matrix. Désormais conscient à quel point l’on peut manier les effets spéciaux et imaginer librement que le monde n’est pas réel, il fondera avec son pote Osman, une boite de production audio-visuelle TBMA (dont les initiales proviennent de Travis Bickle dans Taxi Driver et de Mr Anderson dans Matrix). Ils produisent ensemble, en autres, les clips visuels qui accompagnent les morceaux du rappeur. Dans ses courts-métrages d’une grande qualité (faut le dire), Laylow joue le rôle principal.

Revenons aux prémices de son écriture, plutôt anodine lorsqu’on connait la suite de son parcours artistique tourné vers le digital. A cause de son comportement instable au lycée, il est envoyé dans un internat à proximité de Toulouse, entre les champs de maïs et les vignes. C’est dans ce pays vallonné et agricole que le rappeur écrira ses premiers textes à l’âge de 16ans. Blessé par la médiocrité du réel, son imagination va enjoliver son quotidien. Ses mots révèlent une émotion brute et sincère. D’une certaine façon, le rap lui est destiné. Laylow jette son vécu dans ses textes. Une profonde mélancolie imbibe la feuille morte : « Claque la porte comme à mes seize ans, juste pour voir à quel point c’est sombre ». Sur une instrumental qui frôle la saturation des basses, des notes de pianos accompagnent sa voix roque et désaxée qui exprime une émotion vive :

[Swish – .RAW-Z]
« J’travaille ma garde et mon coup droit, j’rentre à la maison l’air coupable
Maman, ton regard me foudroie, premier son, ça m’a fait tout drôle
Comme de découvrir un pouvoir, maintenant, c’est tout noir, oh
Mais qui peut me suivre ? Y’a des démons qu’on pourra jamais fuir
J’habite à Paris mais ma vie me suit, face à mon passé, j’suis face à des ruines
Chez moi, la jeunesse s’enlise, tout près des champs, y’a des bécanes en i
Des gens qui savent pas quoi faire de leurs vies, chercher un taf ou faire pousser de la weed
Vraiment yeah, Plaisance-du-Touch : 31830
Là-bas, tout est tranquille, moi, j’fais cent pas, j’suis en transe
Ils ont tous l’air content, l’air d’être si bien dans leurs peaux
L’air d’se sentir français, moi, j’suis foncé, j’ai pas d’pot
Sourcils froncés, j’ai peu d’potes, j’veux son cœur mais j’ai pas l’code
Elle m’aime pas, c’est l’hécatombe, ils s’foutent de ma gueule mais j’sais
Qu’j’irai plus loin qu’eux, qu’j’vivrais très loin d’eux, qui m’reste pas longtemps
Avant qu’ils s’remémorent le passé 
Qu’ils r’pensent au tis-mé tout au fond du 67
C’lui qui passait tout l’trajet à gratter des seizes [Texte de rap, 16 mesures]. »

L’émotion singulière qui a cohabité en lui pendant son adolescence le façonne toujours. Etrangement, la mélancolie lui a offert le pouvoir de franchir les portes de la création artistique. Depuis les premiers jets sur la feuille, Laylow a sorti quatre EP qui, avec du recul, le destinait à suivre un chemin tout tracé vers la réussite. Certes pas encore tout à fait abouti, sa production artistique détenait un immense potentiel. Encore une fois, à l’occasion de son dernier EP au nom d’un format de compression (.RAW-Z), le rappeur nous prouve au combien il sublime cette émotion qui lui est chère. L’homme à l’imagination bionique souffrent d’une douleur mécanique et mélancolique :

[Hello .Raw-Z]
« J’voulais écrire des sons positifs
Mais j’crois qu’y’en a aucun dans mon dix titres (shit)
.Raw-Z, c’est la B.O de ton suicide
C’est tellement triste qu’la météo s’fait du soucis
Rajoute des glaçons dans la liqueur ( glou glou glou )
Prend soin d’moi comme ma babysitter
Tu sais comment glacer mon p’tit cœur
J’espère qu’cette mélo’ va te plaire
Hello mélancolie hello
hello mélancolie hello
Passe à la casa bébé, j’suis là
Ramène la sson-boi, on s’met minable. »

A condition de ne pas tomber dans une forme maladive, la mélancolie procure un état doux et vague qui accentue le sentiment d’exister et donne au monde de nouvelles couleurs. Souvent perçu exclusivement comme une lassitude de la vie, elle témoigne également chez Laylow d’une grande sensibilité et d’un imaginaire riche. La capacité de Laylow d’exprimer avec finesse un sentiment de nausée devant une existence trouble est la marque d’une intériorité dans laquelle, il trouve refuge. Laylow est Jeremy Larroux, un être tout à fait atypique qui emplit sa vie d’un imaginaire digital. En 2020, le rappeur tire encore une fois sur la corde métallique pour la création de son premier album, Trinity. Une œuvre visuelle et auditive.

Présentation de la pochette

Pochette de l’album Trinity

Présentation de la pochette

Cette pochette présente en gros plan le visage du rappeur Laylow centré sur sa partie inférieure. La photographie prise à courte distance met en valeur la bouche, faite de chair et de métal, d’un homme bionique. Les mâchoires métalliques sont enchainées et un fil de fer perce ses deux joues. Le filtre vert présent sur la photo rappelle les films de science-fiction. Lors de leurs tournages, les acteurs jouent accompagnés d’un fond vert en arrière-plan. Cette technique d’effets visuels, appelée Incrustation, permet de découper le sujet de son fond et ainsi intégrer à l’image des objets créés par ordinateur. Le vert présente l’avantage d’être la teinte la plus éloignée de la peau humaine. De plus, cette couleur imprègne l’atmosphère de la saga Matrix, on la retrouve notamment dans le code la Matrice. Le nom de l’album est une référence à cette série de trois films. En effet, Trinity est le pseudonyme d’une hackeuse dans la trilogie. L’oracle lui a prédit qu’elle tomberait amoureuse de l’élu. Par le biais de la pochette, Laylow nous annonce la sortie de son premier album, une œuvre auditive mais également visuelle dont l’imaginaire s’inspire d’une réalité digitale.

Chapitre 1 : Taxi Driver

Ce film rythme le quotidien de Travis Bickle. Tranquillement installé sur le siège de son taxi, il est le témoin de la misère et de la violence des mauvais quartiers de New-York, jusqu’au jour où sa conscience se réveille. Film signé Scorsese.

[DEHORS DANS LA NIGHT]
« Y a des soirs, on quitte la maison juste pour voir à quel point c’est sombre
Dehors il pleut, toutes les saisons, j’ai tête sous l’eau, oh my god
Claquer la porte comme à mes seize ans, juste pour voir à quel point c’est sombre
Dehors tout l’monde perd la raison, j’ai tête brulée, oh my god »

Lorsque la lueur du jour se dissipe, Laylow met en parallèle l’éclairage nocturne et son humeur qui sont décrits comme sombres. Plongé dans une atmosphère obscure, un sentiment mélancolique surgit de ses souvenirs enfouis : « Claquer la porte comme à mes seizes ans, juste pour avoir à quel point c’est sombre ». Dorénavant, deux émotions vives et soudaines colorient sa vision du monde : « Dehors il pleut toutes les saisons […] Dehors tout l’monde perd la raison ». La répétition de « dehors » insiste sur le fait qu’il expulse des affects contradictoires représentés par deux images distinctes « tête sous l’eau et « tête brulée ». Elles résidaient en son for intérieur. Cette projection émotionnelle lui procure une surprenante délivrance laissant place à une expression anglophone très spontanée : « Oh my god ».

[DEHORS DANS LA NIGHT]
« Minuit passé, j’traine avec ceux qui dealent dans les rues d’la ville
L’alibi, c’est de chercher l’biff, la vérité, c’est qu’on cherche juste à vivre
Comme les affranchis, comme les mecs frais dans les films
J’connais mes classiques, j’sais qu’on est tout en bas sur l’graphique
Me reconnait pas dans les têtes qui défilent dans les peu-cli
Maman m’a dit : ‘’t’es différent, on voit que ta gueule dans le casting’’
Mais c’est facile de mettre bien en avant c’qui nous lie
Que d’expliquer comment on est, le mal qu’on ressent, comment le dire ? »

A défaut de faire de long discours, « le mal qu’on ressent, comment le dire ? », le rappeur se détourne d’une douleur qu’il pourrait décrire avec détails sur la feuille. Susceptible d’être intégralement absorbé par sa mélancolie, Laylow préfère trainer tard dans la nuit avec ses potes mais ceux-ci sont traqués par les forces de l’ordre : « L’alibi, c’est de chercher l’biff, la vérité, c’est qu’on cherche juste à vivre ».

Chapitre 2 : Drive

Conducteur pour des cascades à Hollywood le jour et pour des truands la nuit, le personnage principal dissimule son identité. Le mystère rode autour de cet homme discret et solitaire et l’intrigue gagne en profondeur. Le scénario mouvementé nous plonge dans les affaires souterraines, le romanesque et vire parfois au trash. Ryan Gosling livre une interprétation absolument fascinante toute en sensibilité, émotion et agressivité.

[HILLZ feat S.PRI Noir]
« j’ai la mélo’ dans la tête, tu veux le flow, je l’amène
Viens faire un tour dans les hills, j’te laisse passer les vitesses
Deux milles euros dans la veste, en tournée y’a tout qu’est complet
Je fais que ce qui me plait, j’pourrais tuer la concu’ comme aç
Hun avoue, t’en as jamais croisé des comme moi
Hun, ils essayent de tout décrypter en comments
Hun, on fait les euros, me demande pas comment »

Au volant d’une voiture d’origine US, Laylow et S.PRI Noir crament de l’essence autour des collines d’Hollywood accompagnés par plusieurs femmes : « J’suis dans la vallée, je roule, controlé, j’ai les yeux rouges / Elles ont mis tout dans le nez parce qu’elles n’en ont plus rien à foutre ». Ils mènent la vie rapide à Los Angeles, exhibant à l’américaine, leur réussite économique grâce à la musique : « J’descends la pente en tout schuss, y’a nos tes-tê dans les news ». Un morceau Egotrip dans lequel la folie prend vie.

[PLUG feat Jok’air]
« On s’est déjà vu dehors mais y’avait toutes tes copines
T’étais au fond dans le noir, j’étais à fond dans le vice
T’avais des défis à vivre, j’avais les yeux dans le vide
Yeah, eh »

Laylow amorce le dialogue avec Trinity. Lui remémorant le souvenir qui les lie, « On s’est déjà vu dehors mais y’avait toutes tes copines, il décrit son ressenti la première fois qu’il l’a vu. Au fond de sa tête, son attention était en chute libre et les vices rodaient dans ses pensées. Il n’aura fallu qu’un regard pour que la vision du rappeur se remplisse, et dessine avec ses yeux le corps féminin de Trinity « au fond dans le noir ». Un dessin sensuel aux lignes asymétriques et désirables.

Chapitre 3 : Orange mécanique

La violence à l’état pur : physique, moral et gratuite. Une œuvre futuriste portée sur la jeunesse, réalisée par le virtuose du cinéma, Stanley Kubrick.

[TRINITYVILLE]
« Flamme dans les yeux d’l’OPJ quand j’lui dis que j’fais que du rap (flex)
Mec, c’est du développement durable […]
Chaque nouveau projet, je drift, Laylow c’est l’adrénaline
J’pourrais jamais t’aimer jusqu’à l’infini
Pourquoi tu veux t’insérer dans ma vie ?

Ne voulant contempler le vide, il le comble en vivant intensément ses émotions puis en dépassant ses limites sur chacun de ses projets musicaux « Chaque nouveau projet, je drift, Laylow c’est l’adrénaline ». L’expérience du risque lui apporte un sentiment d’euphorie mais également de l’inspiration, Il compte bien poursuivre dans le rap : « Mec, c’est du développement durable ». Conscient qu’il mène un train de vie instable car en aucun cas il cherche à canaliser les affects qui le submerge, il lui semble inenvisageable de construire une relation sur le long-terme : « Pourquoi tu veux t’insérer dans ma vie ? ». La réalité se trouble : « J’pourrais jamais t’aimer jusqu’à l’infini ».

[VAMANOS feat Alpha Wann]
«  Vaut mieux pas r’garder, elle a les jambes écartées, interdit aux moins seize
Y’a moins d’mots, y’a pas moins d’sens, j’suis loin d’moi, de mes ancêtres
[…]
Mieux vaut pas trop te-ma l’ciel, si la réponse est devant tes yeux
Rien à foutre d’être un mec bien, j’veux le monde
Et j’vais pas r’garder l’price sur l’étiquette »

La forme d’expression du rap favorise l’expression des émotions vives. En effet, les phases sont compressées et percutantes : « Y’a moins d’mots, y’a pas moins d’sens ». Ce genre musical use d’une nouvelle esthétique : Les phrases classiques en dentelles narrant le cours d’une histoire sont substituées par un flow de mots vifs et spontanés produisant un défilement d’images saisissantes. Dans son mode d’expression, la colère est bien différente de la mélancolie. Repliant la personne sur elle-même, l’émotion bleue est difficilement perceptible par l’entourage car elle réside à l’intérieur de l’individu alors que la colère, assimilée au rouge, s’exprime instinctivement vers l’extérieur. On projette en face nos affects, faisant passer celui qui se tient devant nous pour notre ennemi : « J’suis loin d’moi, de mes ancêtres ». Pas b’soin de chercher des explications aux actes commis en r’gardant le ciel car « la réponse est devant tes yeux » mais « la vérité blesse, mieux vaut pas r’garder ».

[AKANIZER]
« Enervé comme jamais, j’arrive en Y, si y’a hej’, j’improvise
Demande à Samir, fais sonner la basse, fais sonner l’Akrapovic
Elle a la jupe Chanel, elle veut que j’lui mette, c’est pas très catholique
Si tu veux mon avis, j’ai un flow unique, j’veux la vie assortie »

La montée de violence semble devenir insupportable. Proche de ses limites, Laylow ne gère plus rien :  il se sent « énervé comme jamais ». La vitesse, « j’arrive en Y » ; la spontanéité, « j’improvise » ; la répétition, « fais sonner la basse, fais sonner l’Akrapovic » ; l’hypersexualité, « elle a la jupe Chanel, elle veut que j’lui mette » ; la mégalomanie, « j’ai un flow unique, j’veux la vie assortie ». Tous les symptômes d’un état de surchauffe se révèlent, l’explosion est proche. Click Click Boom.

[BURNING MAN feat Lomepal]
« Lentement, je brule lentement
Pas de pensement pour apaiser mon crâne
Comment garder son calme quand la violence manque ?
Lentement, mon noyau crame
Je crée puis je casse tout, c’est ma vie
J’me détruis un peu chaque jour, c’est merveilleux
Tu n’verras que la flamme qui brûle dans mes yeux »

Le morceau est à l’image de l’évènement Burning Man qui se tient chaque année pendant 9 jours dans le désert du Nevada. Des dizaines de milliers de personne montent des structures en bois créant une ville artificielle sur le sable chaud, et finissent à la fin par tout bruler : « Je crée puis je casse tout, c’est ma vie ». Lentement, le rappeur se consume : « Inquiète toi plutôt quand j’dis qu’ça va / j’ai le cœur un peu malade, je brûle mais tout est sous contrôle ». Incapable de remédier tout seul à son inflammation, Laylow cherche Trinity pour qu’elle éteigne l’incendie : « Tu n’verras que la flamme qui brûle dans mes yeux ».

CHAPITRE 4 : HER

Ce film dévoile la relation intime, sentimentale et numérique d’un homme envers une interface machine. L’intelligence artificielle est de mise dans ce drame aux tons subtiles et teintés d’humour. Omniprésent sur toutes les scènes, Joaquin Phoenix joue le rôle d’un personnage qui s’isole du monde extérieur. Une œuvre futuriste ?

[NAKRé]
« Y’a des choses qui sont sacrées
Y’a tes yeux qui sont nacrés
J’aimerais rev’nir en arrière
En fin de compte, je suis navré
Et j’vois des gens autour, qui disent qu’ils m’aiment
J’suis pas sûr mais j’leur donne un sourire quand même »

Après une rude descente au cours de laquelle les désillusions le replongent vers le fond de sa mélancolie, les regrets l’étouffent : « j’aimerai r’venir en arrière ». Laylow est désolé qu’elle est avalée un poison amer, que l’arsenic se repende dans son cœur à cause de ses agissements. Dorénavant, les liens qu’il a tissé avec son entourage lui paraissent bien fade lorsque ses sentiments le ramènent à elle, Trinity.

[MILLION FLOWERZ]
« j’suis d’vant ta porte avec million d’flowers
Dis-moi si c’est trop tard, dis-moi si j’suis toujours à l’heure
C’est quand les gens s’éloignent qu’on voit leur valeur
Y’a des choses qu’ont pas d’égal, dis-moi si t’es partie ailleurs
La vie sonne comme mélodie sans harmonie
J’traine ma peine comme tous ces mélancoliques anonymes
J’ai la vingtaine mais j’suis triste dans un Merco-Benz »

Laylow s’excuse d’avoir négligé sa relation amoureuse au profit de sa réussite personnelle. En effet, Le rappeur mache son flow de paroles et joue sur l’ambiguïté : « million d’flowers » et « millions d’followers ».  Certes il est devenu un homme médiatisé et épanoui dans la musique mais, au fond, il n’y a que son image extérieure qui porte le sourire aux lèvres. Souvent présente dans les textes de Laylow, la dualité en question restitue à la richesse, le pouvoir et l’influence leur juste valeur vers l’atteinte du bonheur : Depuis que ses nombreux fans l’ont rendu seul, « la vie sonne comme mélodie sans harmonie », en d’autres termes, il traine sa peine dans un Merco-Benz.

 

Dernier chapitre : Matrix

Déployant un scénario monumental, des effets novateurs et un montage sans précèdent, Matrix a marqué une nouvelle ère dans le cinéma. La saga en trois volets se compresse sous une forme interrogative : Qu’est-ce que la matrice ? Une question, un millier de réponse. Bienvenue dans l’entre deux : le doute.

[MEGATRON]
« Les yeux de ces gens n’ont jamais vu le soleil de près, je le vois
De montrer le chemin, d’rallumer la flamme qui s’éteint, je me dois
Tu sais, loin des lois, je ne vis que le soir comme étoile dans le noir
Tu sais, loin de moi, demain, j’reviens de loin, j’ai plus vraiment le choix »

Laylow emploie de nombreux symboles : Le soleil en guise de vérité, la flamme évoquant notre singularité et l’étoile dans le noir qui rappelle en quelque sortes, le guide de notre destinée. A l’image de l’élu (Néo) dans la saga Matrix, Laylow envisage que le monde ne tourne pas rond, qu’il se présente davantage comme une multitude de réalités, une superposition de matrices. Le rappeur évoque bien-sur son monde intérieur, la source de son imaginaire créatif. Dans cet univers singulier, les matrices sont des strates de plus en plus profondes où la vérité se dissimule avant d’éclairer son hôte. Lorsqu’il ferme les yeux, le rappeur n’a « plus vraiment le choix » car il suit l’« étoile dans le noir ». Emmené vers les tréfonds de son être, il se rapproche du soleil qui brûle en lui. Cette sensation personnelle et énigmatique, demande un imaginaire important (quasi viscéral) que peu de personnes connaissent, ni même peuvent comprendre : « Les yeux de ces gens n’ont jamais vu le soleil de près, je le vois ». Riche de sens, cette citation compresse deux visions des choses. En effet, il voit le soleil et voit, que les gens ne le voient pas.

Et si cette relation n’était pas réelle ? A l’écoute du Manuel d’utilisation, nous sommes dans une incompréhension du même ordre que celle de Laylow : « Tout ce qu’on a vécu, c’était réel au moins ? ». Les réalités se superposent et le doute s’installe. Dès l’introduction (Initialisation), un délire virtuel concernant un logiciel semblait s’imbriquer sur le fil rouge de l’album. Sortant du schéma classique qui consiste à narrer la vie d’un homme épris de mélancolie, qui perdant de son élan, rencontre la femme qui le sauvera de sa torpeur grandissante, une deuxième interprétation bien plus anodine et complexe que celle dont je viens de décrire, émerge et se déploie pleinement dans le scenario de Laylow. L’image que l’on devrait se faire de Trinity serait davantage proche du logiciel que d’un corps féminin. Du coup, je ne sais pas si l’on peut évoquer de l’Amour entre les deux, il faudrait se poser de nombreuses questions dont celle-ci, une intelligence artificielle vit-elle une existence propre et singulière ? En tout cas, Laylow parait entretenir une forte dépendance avec cette interface digitale car elle agit directement sur ses stimulus émotionnels : « Je suis Trinity, logiciel de stimulation d’émotions ». Si l’on s’aventure dans l’imaginaire de Matrix pour répondre à nos hypothèses, on pourrait imaginer que Trinity est une puce implantée sur le cerveau de Laylow. Dans ce cas, sa représentation de la réalité évoluerait si vite à cause de la micromachine ancrer en lui que le rappeur en aurait oublié d’où il venait. En naviguant éperdument de matrice en matrice, il ne saurait plus laquelle est l’originelle. Lorsque les expériences passées sont englouties dans un trou noir vide et à la fois infini, l’identité se perd, se désagrège jusqu’à se dissiper totalement.

[LOGICIEL TRISTE]
« Ce soir, je suis grave triste, j’vais faire des sales choses
J’te met sur messagerie, mon cerveau fait des saltos
Tout l’monde a l’air d’être heureux, je suis grave triste
Et ça m’donne envie de faire des sales choses
M’appelle pas, jt’enverrai vers ma messagerie »

Laylow se rétracte sur lui-même tel un fœtus ou se compresse comme une machine qui rétrécit grâce à l’émergence d’une nouvelle technologie. Deux façons de voir les choses, deux réalités qui se superposent : La situation concrète de l’homme ou l’imaginaire digital de l’artiste. Oppressé par son environnement extérieur (« Tout l’monde a l’air d’être heureux, je suis grave triste »), l’un dirait qu’il s’engouffre dans un état dépressif car ses envies s’échappent : désir de rien, si ce n’est le désir de mourir. Alors que l’autre penserait davantage à un état évolutif. Une sorte de mutation profonde. Il perçoit que la part d’humanité en lui semble se compresser à l’image d’un fichier zip, et dans ce sens, il se décrit comme un logiciel triste, titre du morceau. Conscient de « bâtir un paradis bien trop artificiel », Laylow redéfinit au plus juste en la réduisant grandement, la place singulière qu’il tient dans ce monde numérisé. Dans un état d’ébullition, « mon cerveau fait des saltos », le rappeur n’est plus aux commandes de sa vie ce soir. Il coupe contact avec le réel, avec ce qui l’environne : « M’appelle pas, jt’enverrai vers ma messagerie ».

« Y aura même pas de remise en question, n’attends pas mon appel
J’ai tellement fait d’erreurs, j’ai sûrement oublié laquelle
Laquelle t’as blessé, laquelle t’as laissé des cicatrices au cœur ?
Si tu savais à quel point je peux plus compter les miennes
On peut cacher des peines et faire comme si tout allait en tombant les ‘teilles »

La tristesse se répand par les failles de son être, et dehors, la grisaille se répand par le souffle du vent. Immergé dans un courant bleuâtre, il s’abandonne à des sensations froides et flottantes. Le vague à l’âme. L’alcool s’échappe, l’air est devenu humide. Les peines tombent du ciel. Pas de doute, Il pleut dans son cœur : « Laquelle t’as blessé, laquelle t’as laissé des cicatrices au cœur ? / Si tu savais à quel point je peux plus compter les miennes ». Il semblerait que Laylow se soit noyé dans l’émotion bleue. Les secondes chutent dans l’océan, des gouttes se figent dans un temps infini.  Depuis combien de temps l’eau a immergé la mécanique ? La question est posée au redémarrage de la machine. Les rouages se font de nouveau entendre. Les batteries se sont rechargées. Attention, l’homme bionique se réanime d’ici peu. Laylow se rend compte qu’il est tombé dans un piège glissant, visqueux, vicieux : « H24 dans les ges-piè, tatouté, y’a rien à fêter, rien à fêter ». Cette putain de mélancolie s’est collé à sa peau, mais bon, le nouveau départ est proche, une nouvelle voie s’ouvre. A quoi va ressembler la trajectoire, que va-t-il y faire ? L’effort de paix ? plutôt l’effort de pé-ra ouais. L’engrenage s’accélère. Branche le pc et l’onduleur de flamme, rajoute un truc électronique, augmente le débit, puisque Laylow rallume le feu digital.

 

L’hybride réduit le plein, et agrandit le vide.
Allez vibre moteur, stimule mon cœur !
Le cyborg circule, et là-haut le soleil brule
Pensez-vous que leur mise à jour est un leurre ?

Conclusion :

Laylow a réalisé une prouesse artistique, son album musical qui suit un fil rouge tout du long, représente un véritable scénario auditif. Maniant également la caméra et les effets visuels, il a produit avec son acolyte Osman trois court-métrages afin de mettre à l’image l’univers de l’album. Un pied dans l’audio et l’autre dans le visuel, c’est la posture que Laylow a prise lors de la conception de Trinity. Cet artiste tout à fait singulier, dépasse les schémas artistiques établis car dans son cas, la bande son scénarisé est accompagné par des visuels. A vrai dire, le cinéma nous a habitué à la structure inverse. Au fur et à mesure que les morceaux s’enchainent, l’intrigue de Trinity stimule et immerge l’auditeur dans un monde digital. N’ayant à ce jour aucunes équivalences, les instrumentales de Laylow semblent détenir quelques mises à jour d’avance. Elles sont la pierre angulaire du déploiement de son imaginaire. Le rappeur ajuste avec grand soin le traitement de sa voix pour qu’elle soit en adéquation avec son atmosphère sonore. Une ambiance binaire -0101- dans laquelle des tonalités métalliques, des notes de pianos en reverb, des boucles rythmiques et mécaniques, des basses proches de la saturation et des effets sonores numériques se mêlent dans un logiciel. Véritable technicien dans sa manière de concevoir ses prods, son flow ondule et se convertit au mieux dans son délire numérique et futuriste : « J’rappe aujourd’hui, c’est le lendemain ». Également à la source d’un vivier d’émotions, ses mélodies laissent une trainée bleutée et rougeâtre derrières elles. Servi sur un plateau digital aux sonorités argentés, son flow décortique tous ses textes. Chaque syllabe détient sa nuance, sa teinte colorée, son gout prononcé. Le bleu et le rouge ; L’extase et l’écœurement ; La mélancolie et l’euphorie ; L’eau et le feu. Si ses sensations vous parlent, sachez que l’imaginaire de Laylow est disponible en streaming. Pour son 22 titres, le rappeur a sorti les gros cartons d’invitation pour enfumer le rap jeu : Lomepal, S.Pri Noir, Jok’Air, Wit. et Alpha Wann ont été convié à cracher des flammes sur des morceaux de l’album. « Jump dans la piscine, flow 458 Italie, je fais du feu dans la cabine [du studio d’enregistrement] ».

Le rythme des mots, une palette d'émotions, une instrumentale. La recette d'un album de rap.

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